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Les croyances dogmatiques sont plus ou moins nombreuses, suivant les temps. Elles naissent de différentes manières et peuvent changer de forme et d’objet ; mais on ne saurait faire qu’il n’y ait pas de croyances dogmatiques, c’est-à-dire d’opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter. Si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre isolément la vérité dans des chemins frayés par lui seul, il n’est pas probable qu’un grand nombre d’hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune.
Or, il est facile de voir qu’il n’y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances semblables, ou plutôt n’y en a point qui subsistent ainsi; car, sans idées communes, il n’y a pas d’action commune, et, sans action commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social. Pour qu’il y ait société, et, à plus forte raison, pour que cette société prospère, il faut donc que tous les esprits des citoyens soient toujours rassemblés et tenus ensemble par quelques idées principales; et cela ne saurait être, à moins que chacun d’eux ne vienne quelquefois puiser ses opinions à une même source et ne consente à recevoir un certain nombre de croyances toutes faites.
Si je considère maintenant l’homme à part, je trouve que les croyances dogmatiques ne lui sont pas moins indispensables pour vivre seul que pour agir en commun avec ses semblables.Tocqueville, extrait du livre De la démocratie en Amérique
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Contexte
Alexis de Tocqueville, né en 1805 dans une famille aristocratique de Normandie, fait des études de droit, puis est juge auditeur à Versailles. C’est à regret qu’il assiste au coup d’état du monarque Louis-Philippe. En partie pour s’éloigner de ce régime, il part étudier le système pénitentiaire américain. Il parcourt donc les Etats-Unis pendant 9 mois, qui seront autant de temps consacré, à comprendre le régime démocratique et ses mécanismes, dont il fera un ouvrage : De la démocratie en Amérique, sorti en deux tomes, respectivement en 1835 et 1840.
Explications pas à pas du texte
Les croyances dogmatiques sont plus ou moins nombreuses, suivant les temps. Elles naissent de différentes manières et peuvent changer de forme et d’objet ; mais on ne saurait faire qu’il n’y ait pas de croyances dogmatiques, c’est-à-dire d’opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter.
Tocqueville donne ici sa définition ce qu’est une croyance dogmatique : « opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter.« . Ce sont des discours que les hommes tiennent pour acquis sans y réfléchir. Il lui attribue deux caractéristiques essentielles : elles sont polymorphes, c’est-à-dire qu’elle ont différentes formes, qu’elle peuvent changer, se muter ; et deuxième caractéristique, il n’est pas possible de supprimer définitivement ces croyances dogmatiques : il y en aura toujours.
Si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre isolément la vérité dans des chemins frayés par lui seul, il n’est pas probable qu’un grand nombre d’hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune.
Cette réflexion, par laquelle Tocqueville imagine un homme qui s’isolerait pour se faire son propre avis et réfléchir uniquement par lui-même, fait écho à l’œuvre de Descartes, le Discours de la méthode, dans laquelle précisément Descartes cherche par lui-même à trouver une vérité, en s’affranchissant pour un temps des auteurs qu’ils a si longtemps étudiés.
Or, il est facile de voir qu’il n’y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances semblables, ou plutôt n’y en a point qui subsistent ainsi; car, sans idées communes, il n’y a pas d’action commune, et, sans action commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social.
Le ciment du corps social, pour Tocqueville, est un projet, une idée commune. C’est une croyance commune qui relie les hommes en eux, qui en font un corps social véritablement. Ces idées communes sont donc essentielles pour une société comme Tocqueville va l’expliquer :
Pour qu’il y ait société, et, à plus forte raison, pour que cette société prospère, il faut donc que tous les esprits des citoyens soient toujours rassemblés et tenus ensemble par quelques idées principales; et cela ne saurait être, à moins que chacun d’eux ne vienne quelquefois puiser ses opinions à une même source et ne consente à recevoir un certain nombre de croyances toutes faites.
Tcoqueville rend légitime une conception qui pourrait a priori nous choquer : il est bon est nécessaire que les hommes aient des croyances dogmatiques, des idées toutes faites. C’est par ce seul moyen que les hommes sont rassemblés et à même de se former en corps social. Chacun doit donc accepter des idées communes, toutes faites, qu’il n’a pas révisées par son propre jugement exclusif.
Si je considère maintenant l’homme à part, je trouve que les croyances dogmatiques ne lui sont pas moins indispensables pour vivre seul que pour agir en commun avec ses semblables.
Tocqueville étend son raisonnement non seulement à l’échelle de la société, mais aussi à l’échelle individuelle, à l’échelle de l’homme. Ces croyances dogmatiques sont nécessairement pour se constituer en corps social, mais également pour vivre soi-même. L’homme est fait d’opinions toutes faites, qui lui sont essentielles pour continuer de vivre.
→ Le travail pour les Indiens d’Amérique selon Tocqueville
→ Analyse du lien entre démocratie et étude des sciences – Alexis de Tocqueville