Ce cours explore les fondements de la religion et de la sociologie à travers les travaux d’Émile Durkheim, en examinant comment les catégories de pensée collective sont issues de la religion, et en soulignant la distinction fondamentale entre le sacré et le profane, qui transcende les définitions traditionnelles basées sur le divin ou le surnaturel. Il analysera les pratiques religieuses, distinguant croyances et rites, et la manière dont ces pratiques structurent les interactions sociales. Nous verrons comment l’étude des formes d’organisation religieuse, comme l’Église et la secte, révèle des dynamiques institutionnelles et des rôles clés tels que ceux du prêtre, du prophète et du sorcier. Enfin, le cours abordera la sécularisation moderne, décrivant la diminution de l’influence religieuse au sein des sociétés contemporaines et la recomposition des pratiques religieuses, où l’individualisation et la diversité de l’offre religieuse jouent des rôles cruciaux.
→ Fiche histoire I. 3. Religion, culture et arts
Les structures des religions selon Durkheim
Dans son ouvrage Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Émile Durkheim explore les origines des catégories de pensée collective. Durkheim choisit d’étudier la religion car elle constitue un cas d’école exemplaire, révélant la source de toutes les structures cognitives partagées par une société; pour lui, la religion est le fondement de toutes les catégories de pensée que nous utilisons.
Durkheim remet en question les définitions traditionnelles de la religion qui la lient au surnaturel ou au divin. Selon lui, le critère essentiel qui définit la religion est la distinction entre le sacré et le profane, une distinction indépendante des notions de bien et de mal. Cette séparation est au cœur de toutes les religions, même les plus anciennes.
Durkheim postule que les religions ne changent pas fondamentalement en se complexifiant. Ainsi, en étudiant les religions les plus simples, comme celles des aborigènes d’Australie, il pense pouvoir comprendre les structures de toutes les religions. Chez les aborigènes, il observe des moments de dispersion, où les individus vivent séparément, et des moments de rassemblement, appelés « corroboree », centrés autour du totem. Ce totem, objet de vénération, est perçu comme source de transformation collective, bien que Durkheim souligne que cette excitation provient en réalité de l’expérience sociale elle-même. En adorant le totem, les individus adorent en réalité la société.
Pratiques et Organisations Religieuses
Dans toute religion, il existe une distinction entre les croyances (les représentations des choses sacrées) et les rites (les comportements appropriés en présence du sacré). Le sacré est séparé du profane mais reste accessible grâce aux rites, qui gèrent les interactions entre les deux domaines. Les rites peuvent inclure des rites de passage, marquant des transitions, ou des rites d’inversion, renversant temporairement les hiérarchies sociales. Bien que parfois perçus comme archaïques, ces rites sont des manifestations de rationalité.
Durkheim note que la distinction entre religion et magie repose également sur la séparation entre sacré et profane. Cependant, la magie est instrumentale, visant à contraindre, contrairement à la religion qui est collective et intégrative. La religion, en revanche, est une forme élémentaire de vie collective.
Deux formes principales de communautés religieuses sont à distinguer : l’Église et la secte. L’Église est une institution bureaucratique, en symbiose avec la société, possédant des prêtres professionnels et un dogme stabilisé. La secte, en revanche, est une association volontaire de croyants, souvent en rupture avec l’environnement social. Weber ajoute que l’Église aspire à la domination universelle, tandis que la secte ne vise pas l’universalité. → Courte biographie de Max Weber
Trois figures de « virtuoses » religieux s’adressent aux masses : le prêtre, le prophète et le sorcier. Le prêtre est désigné par l’institution, tandis que le prophète et le sorcier tirent leur légitimité de leur personnalité. Le prophète agit de manière désintéressée, contrairement au sorcier qui agit dans un but intéressé.
La Perte d’Influence de la Religion
Au XXe siècle, les sociétés se sont de plus en plus sécularisées, avec une réduction de l’influence religieuse. Cette sécularisation est mesurée par la pratique religieuse (fréquence des messes, prières) et les croyances religieuses (résurrection, réincarnation). Il existe une hypothèse selon laquelle croyances et pratiques sont dissociées : certains individus croient sans appartenir à une institution religieuse.
La religiosité varie selon l’âge, le sexe et le niveau d’éducation: les personnes âgées tendent à être plus religieuses, bien qu’il faille distinguer entre effet de génération et effet d’âge; les femmes montrent souvent une religiosité plus forte, peut-être en raison de leur rôle dans la sphère familiale; enfin, une sociabilité professionnelle réduirait le besoin d’identité religieuse.
La structure de l’offre religieuse influence également la sécularisation. Dans les sociétés où l’offre religieuse est diversifiée, il y a une meilleure adaptation aux besoins individuels, ce qui peut encourager la pratique religieuse. Les sociétés inégalitaires tendent à avoir des niveaux plus élevés de religiosité, les religions expliquant les destins sociaux par des théodicées.
Les pratiques religieuses modernes sont de plus en plus individualisées et désinstitutionnalisées. L’essor du post-matérialisme n’a pas suffi à freiner le déclin de la religiosité traditionnelle. Cependant, une « industrie spirituelle » segmentée et diversifiée émerge, proposant des méga-Églises qui répondent à des besoins spécifiques. En France, bien que beaucoup se déclarent catholiques, la pratique religieuse est en recul, illustrant cette recomposition des croyances.
Les individus cherchent à valider leurs croyances par différentes méthodes :
- Validation institutionnelle traditionnelle : l’institution religieuse valide les croyances.
- Validation mutuelle moderne : un dialogue horizontal sans institution spécifique.
- Virtuosité religieuse : communautés adhérant à des standards élevés de croyance.
En somme, la religion demeure une force structurante dans la société, malgré les transformations profondes et la sécularisation croissante.