Sociologie et interactions

Dans ce cours sur les interactions d’un point de vue sociologique, nous nous concentrerons sur deux auteurs. Howard Becker, dans son ouvrage Outsiders, qui montre que la déviance résulte principalement de l’étiquetage social plutôt que de la simple transgression des normes. Et Erving Goffman, qui de son côté se concentre sur les interactions en face à face et la gestion de la « face », ainsi que sur les institutions totales qui régulent les individus perturbant l’ordre social. Ensemble, leurs théories révèlent la complexité des mécanismes sociaux derrière la déviance et les interactions humaines.

Introduction à Howard Becker et l’École de Chicago

Howard Becker, un sociologue éminent, a révolutionné l’étude de la déviance avec son ouvrage Outsiders, publié en 1963. Formé à l’Université de Chicago entre 1946 et 1951, Becker a été influencé par des figures clés de l’école de Chicago telles qu’Ernest Burgess, Everett Hughes et Herbert Blumer. Initialement concentré sur la sociologie du travail et des professions, Becker s’est imposé comme un représentant majeur de l’interactionnisme symbolique. Dans les années 1970, il a orienté ses recherches vers la sociologie des professions, en s’intéressant particulièrement aux « mondes de l’art » et à la photographie comme moyen d’observation sociologique.

Becker remet en question les notions traditionnelles de normes et de déviance, telles que définies par Durkheim et les culturalistes. Contrairement à l’idée que la déviance résulte strictement de la transgression des normes sociales, Becker propose que la déviance est avant tout une question d’étiquetage. Selon lui, être considéré comme déviant ne dépend pas nécessairement d’avoir réellement enfreint une norme, mais plutôt d’être perçu et désigné comme tel par la société. Becker affirme que « les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance et en appliquant ces normes à certains individus en les étiquetant comme des déviants ».

Becker conceptualise la déviance non pas comme un état fixe mais comme un processus dynamique. Ce processus commence par la socialisation qui peut mener un individu à abandonner un comportement conforme et à développer un intérêt pour des comportements déviants. Cette socialisation continue encourage l’individu à persévérer dans des actes déviants, rendant ainsi la déviance un phénomène collectif.

Becker décrit également un schéma en quatre cases illustrant les différentes perceptions et réalités de la déviance :

  1. Obéissant à la norme et perçu comme déviant : Accusé à tort
  2. N’obéissant pas à la norme et perçu comme déviant : Pleinement déviant
  3. Obéissant à la norme et perçu comme non déviant : Conforme
  4. N’obéissant pas à la norme et perçu comme non déviant : Secrètement déviant

Becker introduit la notion d’entrepreneurs de morale, des individus ou groupes qui cherchent à faire respecter les normes qu’ils jugent justes. Ces entrepreneurs peuvent être des croisés, animés par une cause morale, ou des opportunistes, motivés par des intérêts personnels. Les croisades morales sont souvent des luttes interminables, car les croisés doivent continuellement justifier la poursuite de leur combat face à un mal perçu comme persistant, créant ainsi un paradoxe.

La théorie de Becker a été critiquée pour son relativisme. En affirmant qu’il n’y a pas de faute absolue, Becker s’oppose à l’approche durkheimienne qui distingue le normal du pathologique sur une base statistique. Par ailleurs, la perspective wébérienne de la neutralité axiologique, aujourd’hui dominante en sciences sociales, soutient que les sociologues doivent rester neutres et se contenter d’enregistrer les faits sans juger de leur normalité.

L’Interaction en Face à Face selon Erving Goffman

Erving Goffman, un autre grand nom de l’interactionnisme symbolique, s’est penché sur les interactions en face à face et sur la manière dont les individus gèrent leur « face » dans la société. Dans ce cas, la face représente la valeur sociale positive qu’une personne revendique lors d’une interaction. En effet, Goffman soutient que les interactions sociales sont régies par des normes qui dictent comment les individus doivent se comporter pour préserver leur face et celle des autres: lorsqu’une interaction sociale est perturbée et que l’ordre est rompu, des échanges réparateurs sont nécessaires pour rétablir l’harmonie sans chercher à désigner un coupable. L’individu offensé doit signaler ostensiblement qu’il accepte la réparation, permettant ainsi de restaurer l’ordre social.

Goffman décrit également les « institutions totales » telles que les asiles, les prisons et les casernes, dont la fonction est de gérer les individus qui rompent systématiquement l’ordre des interactions. Ces institutions se caractérisent par une coupure avec le monde extérieur, la prise en charge de tous les besoins des individus, un mode de fonctionnement bureaucratique strict, et la limitation des contacts entre les surveillants et les reclus. Leur objectif principal est de détruire l’identité des reclus pour neutraliser toute menace à l’ordre interactionnel.

Conclusion

Les théories de Howard Becker et d’Erving Goffman ont profondément influencé notre compréhension de la déviance et des interactions sociales. Becker a démontré que la déviance est une construction sociale basée sur l’étiquetage, tandis que Goffman a souligné l’importance de la gestion de la face et des institutions totales dans la régulation des interactions. Ensemble, leurs travaux offrent une vision complexe et nuancée des mécanismes sociaux qui façonnent le comportement humain et la cohésion sociale.

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