Les inégalités sociales sont un phénomène omniprésent et complexe qui suscite de nombreuses interrogations. Comprendre leur nature et leurs causes nécessite de recourir à diverses approches théoriques. C’est pourquoi nous verrons dans ce cours que des penseurs comme Karl Marx et Max Weber ont développé des cadres conceptuels distincts, chacun mettant en lumière différents aspects de ces inégalités. Ces théories ont évolué au fil du temps, intégrant des analyses plus sophistiquées comme celles de Pierre Bourdieu, mais avant cela, commençons par s’intéresser aux fondateurs de la sociologie des classes sociales.
L’analyse des inégalités sociales : deux perspectives principales
Les inégalités sociales sont une réalité indéniable et persistent à travers le temps et les sociétés. Pour les comprendre, il est crucial de définir ce que nous mesurons et d’identifier les causes sous-jacentes de ces inégalités. Il existe deux approches principales pour aborder cette question : l’approche des classes sociales et celle de la stratification sociale.
L’approche des classes sociales se concentre sur les relations de conflit et de lutte entre les différentes classes. Karl Marx, par exemple, ne définit pas les classes sociales simplement par les professions ou les revenus, mais par leur position dans le processus de production et par l’origine de leurs revenus. Les prolétaires, selon Marx, ne possèdent que leur force de travail, tandis que les bourgeois possèdent les moyens de production et exploitent les prolétaires. Cette exploitation engendre une polarisation de la société en deux grands groupes : une vaste majorité de prolétaires et une petite élite de capitalistes, et ces relations sont essentiellement conflictuelles. → Les classes sociales
D’un autre côté, l’approche de la stratification sociale met l’accent sur un continuum entre les plus pauvres et les plus riches, soulignant la continuité plutôt que les ruptures. Cette perspective voit les strates sociales comme superposées, et les relations entre elles ne sont pas nécessairement conflictuelles. Max Weber, par exemple, propose une vision plus nuancée des classes sociales en les définissant par des différences économiques, mais aussi par le statut et le pouvoir. Pour lui, les classes sociales peuvent coexister de manière pacifique, et les échelles économiques ne suffisent pas à elles seules pour définir les appartenances sociales.
L’évolution des théories de classes sociales : des approches monographiques à l’analyse structurelle
Les théories sur les classes sociales ont évolué avec le temps, passant d’approches monographiques à des analyses plus structurelles. William Lloyd Warner, dans sa série Yankee City, adopte une approche monographique pour décrire les spécificités comportementales des différentes classes sociales dans une ville américaine représentative, Newburyport. Warner distingue six classes sociales en utilisant un indice statutaire basé sur plusieurs dimensions telles que la richesse, le quartier, et le type de maison.
Blau et Duncan, dans leur étude The American Occupational Structure, se concentrent sur la mobilité sociale et l’héritage du statut. Ils montrent que le statut social est plus souvent acquis que hérité et que la mobilité entre les strates sociales est relativement facile, sauf pour certains groupes comme les propriétaires de petites entreprises. Ils concluent que la société américaine est caractérisée par une perception de la mobilité sociale possible, bien que celle-ci soit en réalité limitée.
Ralf Dahrendorf, dans Classes et conflits de classes dans la société industrielle, propose que les inégalités se manifestent entre groupes sociaux plutôt qu’entre individus. Pour Dahrendorf, la propriété n’est plus le critère principal de distinction des classes, remplacée par l’autorité, c’est-à-dire la capacité d’imposer des actions à autrui. Cette autorité n’est plus nécessairement appuyée sur la propriété comme au temps de Marx.
Les apports contemporains à l’analyse des classes sociales : de l’habitus à la multidimensionnalité
Les travaux contemporains sur les classes sociales ont introduit des concepts plus sophistiqués pour comprendre les inégalités. Pierre Bourdieu, dans La distinction, défend l’idée que les goûts et les pratiques culturelles sont des marqueurs sociaux. Selon lui, nos comportements sont basés sur des dispositions acquises socialement, appelées habitus, qui façonnent nos goûts et nos pratiques culturelles. L’habitus résulte de notre histoire personnelle et collective, et nous conduit à adopter des attitudes cohérentes avec notre position sociale. → La sociologie de Bourdieu
Bourdieu introduit également la notion de champ, segmentant le monde social en sous-espaces spécialisés où les positions sont hiérarchisées. Par exemple, les goûts des classes dominantes se distinguent par leur capacité à anoblir ce qu’elles consomment, et ces pratiques culturelles deviennent des symboles de distinction sociale. L’analyse des inégalités sociales doit prendre en compte plusieurs dimensions : le volume des ressources, la structure du capital (culturel, économique), et les stratégies de distinction. Cette approche multidimensionnelle permet de mieux comprendre comment les individus et les groupes sociaux se positionnent et se distinguent dans l’espace social.