Ce cours explore les fondements et les dynamiques du capitalisme à travers une analyse multidimensionnelle, de la naissance du comportement capitaliste aux conflits internes qui le caractérisent. En examinant les travaux de Max Weber sur l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, ainsi que les contributions de Karl Polanyi et Alfred Chandler sur la transformation économique et l’émergence des grandes entreprises, nous tenterons de comprendre les origines et les mécanismes du système capitaliste. Nous analysons également les conflits inhérents au capitalisme, tels que le conflit capital-travail identifié de la façon la plus fameuse par Karl Marx, mais aussi le dilemme actionnaire-manager, tout en examinant les évolutions contemporaines telles que la montée de la valeur actionnariale et la recomposition des grandes entreprises françaises.
La Naissance du Comportement Capitaliste
Max Weber, dans son ouvrage L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, s’efforce de définir les particularités du comportement capitaliste et d’en tracer les origines. Weber utilise le concept d’idéal-type pour analyser le comportement capitaliste, qu’il décrit comme étant caractérisé par une recherche du profit pour lui-même, combinée avec une rationalité économique. Il observe une corrélation entre le développement du puritanisme, particulièrement du calvinisme, et celui du capitalisme: dans la doctrine calviniste, Dieu est perçu comme absolu et transcendant, inaccessible par la prière directe. L’homme, selon cette doctrine, est destiné à faire fructifier le monde pour la gloire divine sans jouir des plaisirs terrestres.
La doctrine de la prédestination calviniste soutient que Dieu a déjà décidé qui serait sauvé et qui ne le serait pas. Cette incertitude pousse les puritains à s’investir dans la vie sociale et économique, cherchant des signes de leur élection divine. Comme le succès économique est interprété comme une confirmation de leur statut d’élus, les bénéfices tirés des activités économiques sont réinvestis, car les puritains ne peuvent en profiter pour eux-mêmes. Max Weber conclut qu’il existe une affinité entre cette éthique et l’esprit du capitalisme.
Polanyi et le désencastrement
Karl Polanyi, dans La Grande Transformation, examine la naissance du capitalisme moderne en distinguant l’économie traditionnelle de l’économie de marché. L’économie traditionnelle est caractérisée par des échanges basés sur la réciprocité et la distribution au sein de sphères de production et de consommation imbriquées, régulées socialement et limitées à des communautés spécifiques. En revanche, l’économie de marché soumet tous les biens à la régulation des prix par l’offre et la demande, avec des acteurs rationnels et calculateurs.
Polanyi explique que le passage à une société de marché implique le désencastrement des économies locales, autrefois autonomes, et leur intégration dans un réseau plus vaste. Ce processus est initié et soutenu par l’État, qui joue un rôle central dans l’établissement de l’économie de marché. Polanyi critique ce processus, le considérant comme le point de départ du totalitarisme en raison de la soumission brutale de la société aux exigences du marché.
Alfred Chandler, dans La Main Invisible des Managers, explore la naissance et la pérennité des entreprises. Selon lui, les entreprises émergent et perdurent grâce à leur efficacité, rendue possible par des managers compétents. Avant 1840 aux États-Unis, les marchés étaient fragmentés et impersonnels. La construction des chemins de fer a joué un rôle crucial en désenclavant les marchés et en permettant une production à grande échelle, conduisant à la création de grandes entreprises et de marchés financiers.
Chandler critique les récits purement fonctionnalistes qui ne tiennent pas compte des conflits et des dynamiques internes à différents niveaux de la société. Il souligne que la croissance économique et la consolidation des entreprises sont des réponses à des problèmes complexes nécessitant des solutions organisationnelles sophistiquées.
Les Conflits du Capitalisme
Karl Marx s’intéresse particulièrement à la valeur ajoutée dans l’échange capitaliste, créée exclusivement par le travail. Marx explique que la valeur ajoutée à une marchandise est proportionnelle au travail nécessaire à sa production. Il souligne une disjonction entre la valeur créée par le travailleur et la compensation reçue pour reproduire sa force de travail, la différence profitant aux capitalistes.
Marx identifie un conflit fondamental dans le partage de la valeur ajoutée : les positions sociales permettent à certains acteurs de récolter davantage de valeur qu’ils n’en créent, ce qui est source de tensions entre les travailleurs et les capitalistes.
Avec la diversification des entreprises, les propriétaires ne peuvent plus être les dirigeants et doivent nommer des managers. Cependant, les intérêts des actionnaires, centrés sur la maximisation des profits, peuvent diverger de ceux des managers, qui peuvent viser le développement à long terme de l’entreprise.
Neil Fligstein examine les différentes conceptions de contrôle au sein des entreprises, mettant en lumière les luttes internes autour du partage de la valeur ajoutée. La transition d’une conception de contrôle conglomérale à une conception de contrôle actionnariale est marquée par une spécialisation accrue des entreprises. Les fusions des années 1980 ont favorisé cette évolution, conduisant à la réorganisation des firmes autour de compétences centrales et à la montée en puissance des investisseurs et des directeurs financiers (CFO).
En France, la transformation de la structure de propriété des entreprises a été marquée par une diminution du rôle de l’État et une augmentation de l’actionnariat familial, encore plus significative que dans d’autres pays occidentaux. Cette transition a conduit à une concentration des entreprises autour de compétences centrales, bien que certaines entreprises diversifiées se reconcentrent.
Depuis les années 1980, la part du travail dans la valeur ajoutée a considérablement diminué, tandis que la part des dividendes dans les profits des entreprises a substantiellement augmenté. La rémunération des dirigeants des grandes entreprises françaises a également connu une forte hausse, souvent justifiée par la nécessité d’attirer les meilleurs talents dans un marché perçu comme concurrentiel.
Cependant, cette justification est remise en question par l’observation que le marché du travail des dirigeants en France reste largement national. Cette évolution est portée par des dirigeants formés durant les Trente Glorieuses, qui ont accompagné la transition vers une conception de contrôle actionnariale.