Emmanuel Kant dans Über Pädagogik, que l’on peut traduire par Traité sur la pédagogie, donne sa vision de l’éducation, de l’école, de l’apprentissage.
Cette œuvre est une des dernières de sa vie, puisqu’elle a été rédigée en 1803.
→ 5 livres sur l’École et l’Éducation
Définition de l’Éducation – Emmanuel Kant
Pour Kant, l’éducation est le propre de l’homme. Il n’est pas possible d’éduquer les animaux. Il s’agit alors de bien comprendre en quoi consiste cette « éducation ».
Der Mensch ist das einzige Geschöpf, das erzogen werden muß. Unter der Erziehung nämlich verstehen wir die Wartung (Verpflegung, Unterhaltung), Disciplin (Zucht) und Unterweisung nebst der Bildung. Demzufolge ist der Mensch Säugling, – Zögling, – und Lehrling.
L’homme est la seule créature qui soit susceptible d’éducation. Par éducation l’on entend les soins (le traitement, l’entretien) que réclame son enfance, la discipline qui le fait homme, enfin l’instruction avec la culture.
Traité de pédagogie – Emmanuel Kant –
Pour cet essai sur la pédagogie, Kant identifie deux grands ensembles d’éducation :
- L’éducation physique : attention à ne pas confondre avec une « éducation sportive ». Notamment : « la culture de l’esprit, que l’on peut bien aussi d’une certaine manière appeler physique » dans
- L’éducation pratique : qui regroupe l’habileté, la prudence et la moralité.
Le Traité sur la pédagogie
est une des dernières œuvres d’Emmanuel Kant
L’éducation physique
> Comment cultiver sa mémoire – Emmanuel Kant
Emmanuel Kant insiste particulièrement sur les textes, la lecture, l’écriture. Mais il n’oublie pas la partie orale de l’éducation et de l’apprentissage, pour lesquelles les langues sont essentielles.
On cultivera la mémoire: 1. En lui donnant à retenir les noms qui entrent dans les récits; 2. par la lecture et l’écriture; il faut exercer les enfants à lire de tête et sans avoir recours à l’épellation; 3. par les langues, que les enfants doivent apprendre en les entendant, avant d’en venir à en lire quelque chose.
Traité de pédagogie – Emmanuel Kant –
> Buts de l’éducation – Emmanuel Kant
Selon Kant, l’éducation a pour but de cultiver. Il faut ainsi distinguer :
1. Culture générale des facultés de l’esprit, qu’il faut bien distinguer de la culture particulière. Elle a pour but l’habileté et le perfectionnement ; ce n’est pas qu’elle apprenne quelque chose de particulier à l’élève, mais elle fortifie les facultés de son esprit. (…)
2. Culture particulière des facultés de l’esprit. Ici se présente la culture des facultés de connaître, des sens, de l’imagination, de la mémoire, de l’attention et de ce qu’on nomme l’esprit.
Traité de pédagogie – Emmanuel Kant –
Pour la culture générale des facultés de l’esprit, Kant présente 2 aspects :
- culture physique : l’enfant est passif puisqu’il reproduit simplement les actions de son maître
- culture morale : il s’agit de permettre à l’enfant de penser par lui-même, d’acquérir ses propres valeurs, ses propres maximes, sa propre morale. Il faut sortir d’un système où l’éducation se fonderait sur la punition, sur la contrainte extérieure, qui empêche l’enfant de développer sa propre culture morale.
Pour la culture particulière des facultés de l’esprit, Kant précise que les enfants ont djéà une imagination très développée. Il n’est donc pas nécessaire d’alimenter cette imagination, mais il est important de lui donner des directions, des limites, et de la mettre à contribution.
L’éducation pratique
> Définitions
L’éducation pratique comprend : 1. l’habileté ; 2. la prudence ; 3. la moralité.
Pour ce qui est de l’habileté, il faut veiller à ce qu’elle soit solide et non pas fugitive. On ne doit pas avoir l’air de posséder la connaissance de choses, que l’on ne peut pas ensuite réaliser. La solidité doit être la qualité de l’habileté et tourner insensiblement en habitude dans l’esprit. C’est le point essentiel du caractère d’un homme. L’habileté est nécessaire au talent.
Pour ce qui est de la prudence, elle consiste dans l’art d’appliquer notre habileté à l’homme, c’est-à-dire de nous servir des hommes pour nos propres fins. (…) Il est difficile de pénétrer les autres, mais on doit nécessairement comprendre l’art de se rendre soi-même impénétrable. Il faut pour cela dissimuler, c’est-à-dire cacher ses fautes. Dissimuler n’est pas toujours feindre et peut être parfois permis, mais cela touche de près à l’immoralité. (…)
La moralité concerne le caractère. Sustine et abstine, tel est le moyen de se préparer à une sage modération. Si l’on veut former un bon caractère, il faut commencer par écarter les passions. L’homme doit à l’endroit de ses penchants prendre l’habitude de ne pas les laisser dégénérer en passions, et apprendre à se passer de ce qui lui est refusé. Sustine signifie supporte et accoutume-toi à supporter.Il faut du courage et une certaine disposition d’esprit, pour apprendre à se passer de quelque chose. On doit s’accoutumer aux refus, à la résistance, etc.
Traité de pédagogie – Emmanuel Kant –
> Ne rendez pas vos enfants humbles
Le plus important demeure la franchise. Il faut être ni trop sûr de soi, ni pas assez. Il faut croire modérément en soi, de manière modeste, mais être franc avec soi-même : il faut se dire la vérité.
Ainsi, il est bon de prendre en considération le jugement d’autrui. Dans le cas contraire, on serait dans l’insolence, qui est à redouter.
Mais Kant détecte un problème majeur dans la société : c’est celui de rendre les enfants humbles, plutôt qu’ils acquièrent l’humilité par leur raison. Kant prend notamment l’exemple de la religion chrétienne, qui prêche l’humilité, mais qui l’enseigne de manière contreproductive.
On excite l’envie dans un enfant, en l’accoutumant à s’estimer d’après la valeur des autres. Il doit s’estimer au contraire d’après les idées de sa raison. Aussi l’humilité n’est-elle proprement autre chose qu’une comparaison de sa valeur avec la perfection morale. Ainsi, par exemple, la religion chrétienne, en ordonnant aux hommes de se comparer au souverain modèle de la perfection, les rend plutôt humbles qu’elle ne leur enseigne l’humilité. Il est très absurde de faire consister l’humilité à s’estimer moins que d’autres. — Vois comme tel ou tel enfant se conduit! etc. Parler ainsi aux enfants n’est pas le moyen de leur inspirer de nobles sentiments. (…)
Le cas où l’émulation pourrait servir à quelque chose serait celui où l’on voudrait persuader à quelqu’un qu’une chose est praticable, comme, par exemple, quand j’exige d’un enfant une certaine tâche et que je lui montre que les autres ont pu la remplir.Traité de pédagogie – Emmanuel Kant –
> Faut-il apprendre aux enfants la religion ?
En résumé, la position de Kant pour savoir s’il faut faire un apprentissage de Dieu, expliquer la religion, le divin, la métaphysique, aux enfants, est la suivante :
Puisque dans notre société les enfants vont rencontrer le nom de Dieu, ou n’importe quelle pratique religieuse, alors oui, il est important de leur enseigner tôt ce qu’est la religion.
Une suggestion de Kant est d’utiliser l’analogie avec le père (Dieu) en tant qu’il surveille la famille (Humanité).
Ce qu’il y a de certain, c’est que, s’il pouvait arriver que les enfants ne fussent jamais témoins d’aucun acte de vénération envers l’Être suprême, et même qu’ils n’entendissent jamais prononcer le nom de Dieu, il serait alors conforme à l’ordre des choses d’attirer d’abord leur attention sur les causes finales et sur ce qui convient à l’homme, d’exercer par là leur jugement, de les instruire de l’ordre et de la beauté des fins de la nature, d’y joindre ensuite une connaissance plus étendue encore du système du monde, et de leur ouvrir d’abord par ce moyen l’idée d’un Être suprême, d’un législateur. Mais, comme cela n’est pas possible dans l’état actuel de la société, comme on ne peut faire qu’ils n’entendent pas prononcer le nom de Dieu et qu’ils ne soient pas témoins des démonstrations de la dévotion à son égard, si l’on voulait attendre pour leur apprendre quelque chose de Dieu, il en résulterait pour eux ou une grande indifférence, ou des idées fausses, comme par exemple la crainte de la puissance divine. Or, comme il faut éviter que cette idée ne se glisse dans l’imagination des enfants, on doit, pour les en préserver, chercher de bonne heure à leur inculquer des idées religieuses. (…) Le meilleur moyen de rendre d’abord claire l’idée de Dieu, ce serait d’y chercher une analogie dans celle d’un père de famille sous la surveillance duquel nous serions placés; on arrive ainsi très heureusement à concevoir l’unité des hommes qu’on se représente comme formant une seule famille.
Traité de pédagogie – Emmanuel Kant –
C’est l’occasion pour Emmanuel Kant de donner une définition de la religion :
« Qu’est-ce donc que la religion? La religion est la loi qui réside en nous, en tant qu’elle reçoit son influence sur nous d’un législateur et d’un juge; c’est la morale appliquée à la connaissance de Dieu. »
> Laissez les enfants être des enfants
C’est avec beaucoup d’actualité et de modernité qu’Emmanuel Kant aborde le sujet des enfants éduqués comme des adultes.
L’apport de Kant sur ce point semble plus que jamais pertinent alors qu’au sein de nos sociétés du XXIe beaucoup critiquent en vrac la sexualisation de plus en plus précoce des jeunes, l’implication inhumaine des enfants dans les conflits guerriers, ou encore la course à la performance avec pour corrélat la sollicitation de plus en plus intense des enfants, dès leur plus tendre âge.
Les enfants ne doivent être instruits que des choses qui conviennent à leur âge. Bien des parents se réjouissent de voir leurs enfants parler avec la sagesse des vieillards. Mais on ne fait ordinairement rien d’enfants de cette espèce. Un enfant ne doit avoir que la prudence d’un enfant. Il ne doit pas être un aveugle imitateur. Or un enfant qui met en avant les maximes de la sagesse des hommes est tout à fait en dehors de la destination de son âge, et c’est chez lui pure singerie. Il ne doit avoir que l’intelligence d’un enfant, et ne doit pas se montrer trop tôt. Un pareil enfant ne sera jamais un homme éclairé et d’une intelligence sereine. Il est tout aussi intolérable de voir un enfant vouloir suivre déjà toutes les modes, par exemple se faire friser, porter des bagues et même une tabatière. Il devient ainsi un être affecté qui ne ressemble guère à un enfant. Une société polie lui est un fardeau, et le courage de l’homme finit par lui manquer tout à fait.
Traité de pédagogie – Emmanuel Kant –