Le multiculturalisme est une notion de plus en plus importance dans les sociétés actuelles. L’auteur Charles Taylor lui consacre un ouvrage intitulé « Multiculturalisme. Différence et démocratie » dont voici un résumé.
Résumé du livre Multiculturalisme par Charles Taylor
Charles Taylor, né en 1931, coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles en 2007, a consacré tout un essai sur le thème du multiculturalisme.
Charles Taylor part tout d’abord du constat que les mouvements politiques se servent du besoin de reconnaissance des hommes.
Or d’après Charles Taylor, reconnaissance et identité sont liés.
Le discours de reconnaissance a été rendu familier aux hommes de deux façons :
1) Dans la sphère privée. Dans la sphère privée, l’identité et le moi se constituent grâce au dialogue, grâce aux interactions avec les autres qui nous importent.
2) Dans la sphère publique. La reconnaissance égalitaire au fur et à mesure de l’histoire de la société a pris un rôle de plus en plus important.
I. Deux politiques face au multiculturalisme
A. Deux politiques fondées sur un même principe : le respect égal.
Dans ce deuxième cas de la sphère publique, étudié par Charles Taylor, deux mouvements semblent se dégager :
1. La société actuelle a prôné la valeur d’égalité entre les citoyens, une égale dignité entre eux.
2. Au contraire, le développement de la perception de l’identité a renforcé les singularités, a encouragé la différence : « Tout le monde devrait être reconnu en fonction de son identité unique. »
S’est ainsi mise en place une politique de la différence. Cette politique de la différence « dénonce toutes les discriminations et refuse toute citoyenneté de seconde classe. »
Charles Taylor a consacré un de ses essais
au thème du multiculturalisme,
de la différence dans la démocratie.
– La politique de la dignité égalitaire a pour fondement l’idée que l’intégralité des êtres humains sont dignes de respect. Pour Kant, parmi les premiers à avoir défini cette dignité, les hommes étaient dignes en vertu de leur rationnalité et de leur capacité à diriger leur vie selon des principes.
C’est cette idée qui a été retenue, et qui fonde la vision actuelle de la dignité égalitaire : tout homme ayant un « potentiel humain universel« , chacun mérite du respect.
– La politique de la différence a en partie les mêmes fondements. Le potentiel universel sert alors à former et « définir sa propre identité en tant qu’individu et en tant que culture« .
B. Contradiction entre les deux politiques
Or ces deux politiques, fondées toutes deux sur un même principe de respect égal, entrent en contradiction.
La première politique implique que tout le monde soit traité « en étant aveugles aux différences« .
La seconde politique implique de « reconnaître et même favoriser la particularité« .
La première politique reproche à la seconde de « violer le principe de non-discrimination« .
La seconde politique reproche à la première de « nier toute identité en imposant aux gens un moule homogène qui ne leur est pas adapté« .
La politique d’égale dignité a été portée principalement par les idées de deux auteurs : Rousseau d’une part, et Kant d’autre part.
II. Toutes les cultures ont-elles la même valeur ?
A. Des sociétés de plus en plus multiculturelles
Charles Taylor constate que les sociétés actuelles deviennent de plus en plus multiculturelles. Elles « se tournent vers le multiculturalisme« .
La thèse de Charles Taylor est que le libéralisme n’est pas totalement neutre en ce qui concerne la culture. En effet selon lui, « le libéralisme ne peut ni ne doit revendiquer une neutralité culturelle complète« .
Emerge pourtant un paradoxe : bien que les sociétés soient de plus en plus multiculturelles, elles sont dans le même temps de plus en plus perméables, c’est-à-dire qu’elles sont davantage ouvertes à des migrations multinationales.
Il ne s’agit en fait pas d’une contradiction, mais ces deux tendances vont ensembles. La seule difficulté réside dans le fait que certains sont à la fois citoyens du pays, et appartiennent également à la même culture qui remet en question « le territoire philosophique » de ce même pays.
Ainsi, le débât actuel concerne la supériorité d’une culture sur une autre culture.
Historiquement, les sociétés occidentales sont critiquées pour avoir tenté d’imposer une culture au temps des colonies. Mais aussi pour leur politique actuelle de mise à l’écart des minorités culturelles, qui apparaît comme du mépris.
La question posée n’est plus seulement : est-ce qu’il est bon, est-ce qu’il est légitime, de laisser les autres cultures survivre ? L’enjeu retenu dan la société actuelle est désormais plus grand : reconnaître « la valeur égale des différentes cultures« . Il s’agit en effet de contribuer à la survivance des cultures : non seulement laisser survivre les autres cultures, mais aussi de reconnaître leur mérite.
Cette exigence de reconnaître les cultures, alors qu’elle était implicite avant, est dans les sociétés actuelles devenue explicite. Répandre l’idée que nous sommes formés par la reconnaissance a en effet permis à cette exigence de reconnaître le mérite des autres cultures de devenir explicite.
Ce raisonnement sous-entend que nous devons un égal respect à toutes les cultures. Charles Taylor soutient alors la thèse que cette présomption a une partie vraie, mais « qu’elle est nullement dépourvue de difficultés et qu’elle implique une sorte d’acte de foi« .
En effet selon lui, toute culture peut apprendre à l’humanité, même si les cultures peuvent passer par des phases de décadence. Cela ne revient pas non plus à dire que toutes les formes d’art d’une culture sont d’égale valeur. Mais au moins, « toutes les cultures humaines qui ont animé des sociétés entières durant des périodes parfois considérables ont quelque chose d’important à dire à tous les êtres humains. »
C’est cette pensée qui doit animer l’homme quand il étudie toute autre culture.
Charles Taylor, Le multiculturalisme,
Flammarion, 21 octobre 2009
B. Toutes les cultures n’ont pas nécessairement une valeur égale
En revanche ce que refuse Charles Taylor, ce serait une obligation à conclure quoi qu’il arrive que telle culture a une valeur égale ou plus grande qu’une autre culture. Pour lui, cette démarche ne serait pas éthique, car ce jugement aurait été indépendant de la volonté, il aurait été posé a priori, sans que l’on puisse le modifier après étude. On ne peut exiger de considérer que toutes les cultures se valent.
Trois conséquences :
La première conséquence est de s’écarter dans une certaine mesure de ce que Charles Taylor appelle les théories « subjectivistes« , dérivées de Nietzsche, Foucault, ou Derrida, qui énoncent que tout jugement de valeur n’est pas un libre choix de l’homme, mais qu’il est imposé par des structures de pouvoir.
La seconde conséquence est la nécessité de ne pas juger seulement avec nos vieux critères, propres et familiers, mais avec de nouveaux critères qui n’apparaissent qu’après avoir étudié les différentes cultures. En effet l’analyse de nouvelles cultures transforme nos propres critères de considération, qui nous permet d’échapper à l’ethnocentrisme (le fait d’être centré sur des considérations propres uniquement à notre éthnie).
La troisième conséquence est le refus d’un jugement favorable a priori, avant toute chose. C’est-à-dire qu’on ne doit pas penser qu’une autre forme de culture est forcément, nécessairement, bonne ou meilleure. Dans le cas contraire, ce serait un double faute : d’abord parce qu’une telle exigence serait « homogénéisante« . Ensuite, parce que l’on ne peut juger seulement avec ses propres critères originaires, ce serait tomber dans l’ethnocentrisme déjà mentionné.
Ainsi, « sous cette forme, l’exigence de reconnaissance égale est inacceptable. »
En conclusion de ce résumé sur le multiculturalisme
L’homme se sert donc de la présomption pour étudier les autres cultures. Cette présomption nécessite une ouverture aux différentes cultures, pour pouvoir modifier ses critères de jugement : « ce que la présomption requiert de nous n’est pas de trancher péremptoirement et de manière inauthentique sur l’égalité de valeur ; mais d’être ouverts à l’étude culturelle comparative, pour déplacer nos horizons vers des mélanges nouveaux« .
Enfin, Charles Taylor se permet de conclure son essai par une exigence. Il s’agit d’un rappel à l’humilité de l’homme ; l’homme n’a pas encore atteint le point où il pourra juger parfaitement et de manière évidente de la valeur des cultures : « nous sommes très loin de cet ultime horizon du haut duquel la valeur relative des différentes cultures pourrait être évidente. »
Vous pourrez lire avec intérêt les différents commentaires qu’ont écrit en réaction à cet essai Susan Wolf, Steven Rockefeller, ou encore Michael Walzer.
→ En 2014, le concours des IEP s’intéressait à la CULTURE. Les meilleurs articles sur la culture à consulter ici !
Bonjour.
Charles Taylor fournit un très grand effort en conciliant dans cet ouvrage les thèses apparemment contradictoires. Au regard de la forte prégnance de la culture occidentale sur les autres cultures, peut-on dire que le multiculturalisme taylorien tient encore la route?
Je vous saurai gré si vous me mettez en contact avec l’auteur pour poursuivre les échanges.
[email protected].
Ne faut-il pas parler d’unicité plutôt que d’égalité des cultures? Y-a-t-il une qui soit supérieure à une autre? Si oui, en quoi et sur quoi fonde t-elle ses prétentions?
S’il est vrai que l’Homme est un Dasein (Heidegger, Être et temps), un être-là, un être dans le monde (in der welt sein), un étant qui existe par sa différence, n’y-a-t-il pas là, une marque de son unicité? car, la différence ici, s’entend comme ce qui caractérise chacun de nous, nous définit et fait de nous une réalité distincte des autres étants.
Alors, notre siècle doit-il encore parler de « supériorité » ? Ne sommes-nous pas tout simplement unique(s) dans la diversité?
Très intéressante est cette pensée sur le multiculturalisme.Elle met en évidence d’importantes caractéristiques du monde actuelle. Seulement, à notre avis une question mérite d’être posée: en mettant en exergue de façon insistante la multiculturalité, C. Tylor ne risque t-il pas de ne pas voir qu’avec l’occidentalisation -sous forme de modernité unique – du monde s’estompe de plus en plus la multiculturalité en faveur d’une culture unique, occidentale, mondiale? La seule expansion de la démocratie de marché (le capitalisme) ne signe t-elle pas assez cette unicité culturelle mondiale en cours?
On a beau discuter sur le multicultualisme.mais par humilite restons donc a croire que toutes les cultures sont egales.
Le multiculturalisme est d autant plus d’actualité, que son application au niveau national qu’international rencontre des dissensions ou dans le sens contraire suscite la consolidation de l’unité entre les peuples.L’œuvre de Charles Taylor est très intéressante car elle nous éclaire à ce sujet.
Je suis très curieux de mener des recherches concernant cette œuvre et je souhaiterais rentrer en contact avec l’ auteur.
[email protected]
étudiant en master2 philosophie UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA DE BOUAKE (COTE D’IVOIRE)