Dans ce cours sur les normes et la déviance, nous explorons la perspective interactionniste en sociologie, qui offre un regard novateur sur le fonctionnement des systèmes sociaux en observant les interactions de la vie quotidienne. Fondée sur l’idée que chaque société possède un ensemble de normes et de valeurs, cette perspective met en lumière la manière dont les individus négocient ces normes dans leurs interactions quotidiennes. Nous examinons également l’école de Chicago, un mouvement sociologique influent du début du XXe siècle, qui a profondément façonné notre compréhension de la société urbaine et de la déviance. En nous plongeant dans les travaux de penseurs tels qu’Erving Goffman et Howard Becker, nous découvrons comment les interactions sociales influencent la production et la perpétuation des normes et des comportements déviants. Enfin, nous explorons les concepts clés tels que l’étiquetage social et la construction sociale de la réalité, qui sont essentiels pour comprendre la dynamique complexe entre les individus et la société dans la formation des normes et de la déviance.
Définitions :
- Valeurs : Les valeurs représentent l’ensemble des principes par lesquels une société donnée exprime ce qu’elle estime juste et désirable.
- Normes : Les normes désignent l’ensemble des règles par lesquelles une société donnée encadre les conduites individuelles et collectives.
- Déviance : La déviance fait référence à une transgression notable des normes et valeurs en vigueur dans une société.
1. La perspective interactionniste : observer le système social par le bas
L’originalité de l’interactionnisme réside dans son observation « d’en bas », avec un intérêt marqué pour les interactions de la vie quotidienne. Aucune société ne possède une culture homogène, les normes et les valeurs laissant une marge de jeu aux individus. Ces normes et valeurs sont portées par des institutions, et leur intériorisation résulte des processus de socialisation. Le système social est en permanente construction, avec des systèmes de valeurs concurrentes et des sous-cultures importantes. L’intériorisation des normes n’est pas uniquement passive ; elle résulte également des interactions et des situations auxquelles les individus font face. Les enfants se socialisent en interagissant avec leurs parents et d’autres enfants. La perspective interactionniste soutient l’idée que tout ordre social est un « ordre négocié ». Pour saisir ce système social vivant, une approche wébérienne est privilégiée plutôt que durkheimienne. Le courant de l’interactionnisme américain suppose que le bon sens que les individus utilisent au quotidien constitue le fondement même du système social, comme le soutient Garfinkel avec son approche ethnométhodologique. Les scènes élémentaires de la vie sociale sont plus accessibles à saisir que de comprendre une culture anthropologique. L’observation in situ permet de comprendre directement les rapports de face à face, par opposition à l’observation participante où l’observateur joue un rôle actif, comme se faire embaucher dans une usine pour étudier les rapports entre ouvriers.
2. L’école de Chicago
a) Le temps des fondateurs (1910-1930)
L’Université de Chicago a vu la création du département de sociologie, avec une particularité : être sollicité par des commandes extérieures pour enquêter sur les transformations de Chicago. Les thèmes récurrents étaient les migrants et la ségrégation sociale. G. H. Mead, théoricien, a critiqué la théorie durkheimienne et s’est concentré sur l’étude de la socialisation sous un angle plus psychologique.
b) La « première École de Chicago » (1930-1950)
Cette période a vu l’émergence de l’interactionnisme symbolique, développé par H. Blumer. Les objets de recherche se sont diversifiés pour inclure la criminalité, la déviance, le système de santé et les rapports de travail, avec une combinaison de méthodes de recherche. Des chercheurs comme E. Hughes et W. Foote Whyte ont contribué à cette période avec leurs études sur les rapports de travail et la vie quotidienne dans des quartiers urbains.
c) La deuxième École de Chicago (1950-1980)
Des chercheurs comme A. Strauss, E. Goffman et H. Becker ont marqué cette période avec leurs travaux sur la micro-coordination dans les milieux hospitaliers, la mise en scène de la vie quotidienne et la reconsidération interactionniste de la déviance.
d) Les radicaux, tenants de l’ethnométhodologie
Des chercheurs comme H. Garfinkel et A. Cicourel ont été associés à cette frange un peu extrême de l’École de Chicago, soutenant l’idée que ce sont les interactions quotidiennes qui font la société.
3. Les aperçus sur l’œuvre de E. Goffman : le rôle des interactions dans la production normative
E. Goffman a proposé que le système social laisse de nombreuses situations indéterminées, ce qui conduit à des impasses nécessitant des solutions inventées par les individus pour vivre ensemble. Ses trois ouvrages offrent des perspectives complémentaires :
- Les interactions au secours de l’ordre institutionnel, comme illustré dans « Asiles » (1961), où Goffman observe les interactions in situ/participantes dans des institutions totalitaires.
- La part de théâtre nécessaire aux interactions normales, abordée dans « Mise en scène de la vie quotidienne » (1959), où Goffman met en évidence le rôle de la cérémonie dans les interactions humaines.
- L’interaction au quotidien : les conventions de face-à-face, comme décrit dans « Les rites d’interactions » (1967), où Goffman examine comment les individus préservent la « face » dans leurs interactions quotidiennes.
4. Aperçus sur l’œuvre de Becker : le rôle des interactions dans la déviance
Becker a examiné la déviance à travers le prisme du « phénomène d’étiquetage », soulignant que l’étiquetage creuse l’écart entre les individus normaux et les déviants. Il a identifié deux épisodes typiques de l’entrée dans la déviance : l’acte initial de transgression et le stade de la stigmatisation. Becker a également souligné que le phénomène de l’étiquetage social n’est que la conséquence de la transgression des normes et des valeurs. Il a développé l’idée de la « carrière du déviant », soulignant son caractère incertain et aléatoire, certains déviants réussissant à maintenir leur statut social malgré l’étiquetage.