Le moi reste un secret pour beaucoup d’entre nous, si ce n’est pour l’intégralité d’entre nous.
Certains des plus grands auteurs se sont essayé à découvrir leur moi, à explorer qui ils étaient.
Nous prendrons ici deux exemples : Saint-Augustin et Michel de Montaigne.
Tandis que Saint Augustin a pour but de montrer son moi à Dieu, afin de mieux le louer, Michel de Montaigne adresse ses Essais à ses parents et amis, pour que ceux-ci puissent mieux le comprendre et le connaître.
Dans les deux cas, les oeuvres ont finalement servi à l’humanité entière, et à de nombreux philosophes qui se sont inspirés de leurs mots. La profondeur des analyses et le style sont en effet remarquables.
Le moi est-il un mystère ou un secret ? Il est en tout cas davantage que le jardin secret, où nous gardons nos réflexions et nos souvenirs, car il est d’une complexité extraordinaire et nous-mêmes n’en connaissons pas tous les recoins.
Nous nous découvrons nous-mêmes au fur et à mesure des années, alors même que le moi évolue. Ainsi, cerner le moi semble être une tâche indéfinie, l’oeuvre de toute une vie. Toutefois, c’est dès maintenant qu’il nous faut nous regarder et essayer de nous comprendre en profondeur.
Saint-Augustin revient en priorité sur ses péchés (c’est-à-dire ses fautes, le mal qu’il a accompli). Les titres des parties du livre en sont la preuve : « Désordres de sa jeunesse », « Ses débauches à 16 ans », « Vices de son éducation », « Ce qu’il avait aimé dans le larcin », etc.
Mais ce n’est que pour mieux se rapprocher de Dieu.
Je veux rappeler mes impuretés passées, et les charnelles corruptions de mon âme, non que je les aime, mais afin de vous aimer, mon Dieu.
c’est par amour de votre amour que je reviens sur mes voies infâmes dans l’amertume de mon souvenir, pour savourer votre douceur, ô Délices véritables, béatitude et Sécurité de délices, qui recueillez en vous toutes les puissances de mon être dispersées en mille vanités loin de vous, mon centre unique car je brûlais, dès mon adolescence, de me rassasier de basses voluptés; et je n’eus pas honte de prodiguer la sève de ma vie à d’innombrables et ténébreuses amours, et ma beauté s’est flétrie, et je n’étais plus que pourriture à vos yeux, alors que je me plaisais à moi-même et désirais plaire aux yeux des hommes.
Les Confessions, Saint-Augustin
Michel de Montaigne est soi-même « la matière de [son] livre ».
Pour Michel de Montaigne, reprenant Cicéron :
«CICERON dit que Philosopher ce n’est autre chose que s’aprester à la mort», philosopher c’est « apprendre à mourir ».
Mieux se connaître, c’est apprendre à connaître notre fin. A nous préparer à la fin de notre moi.
La mort demeurant un mystère, c’est une quête qui semble encore une fois infinie, du moins jusqu’à ce que l’heure de la mort arrive elle-même.
Montaigne trouve dans la peinture du moi « C’est moi que je peins » une façon de philosopher et de mieux appréhender la mort, et par là même la vie. Le moi reste secret, et sa tâche est de dévoiler au plus ce secret.
«Au Lecteur
C’EST icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t’advertit dés l’entree, que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privee : je n’y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein. Je l’ay voüé à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m’ayans perdu (ce qu’ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu’ils ont eu de moy. Si c’eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautez empruntees. Je veux qu’on m’y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c’est moy que je peins. Mes defauts s’y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l’a permis. Que si j’eusse esté parmy ces nations qu’on dit vivre encore souz la douce liberté des premieres loix de nature, je t’asseure que je m’y fusse tres-volontiers peint tout entier, Et tout nud. Ainsi, Lecteur, je suis moy-mesme la matiere de mon livre : ce n’est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq.
De Montaigne, ce 12 de juin 1580.»
Au lecteur, Les Essais I, Michel de Montaigne