Le développement de la politique

La politique, dans son sens large, englobe l’organisation et l’exercice du pouvoir au sein d’un État ou d’une société structurée, impliquant la gestion des relations internes et externes selon une constitution établie. Plus spécifiquement, elle se réfère à l’art du pouvoir et aux dynamiques de lutte et de gestion entre acteurs politiques et partis. Ses contours ont constamment évolué sous l’influence de divers facteurs historiques et culturels. Cette diversité empêche de proposer une définition unifiée mais révèle des aspects fondamentaux : premièrement, la politique implique une organisation et une autorité instituée ; deuxièmement, elle utilise des moyens ; troisièmement, elle poursuit des finalités propres. Des penseurs comme Aristote ont souligné la dimension pratique et décisionnelle de la politique, tandis que Platon et d’autres ont privilégié la quête de vérité philosophique. Ce cours vise à fournir une compréhension claire de l’émergence de la politique, en partant de la raison et de l’argumentation, s’appuyant sur la philosophie de l’époque antique, et se constituant à travers le droit en particulier sous l’impulsion des institutions romaines.

Raison et argumentation sont les graines de la politique

La naissance de la philosophie coïncide avec la quête du bon gouvernement dans l’Antiquité. Dans les modèles politiques anciens, il y avait une forte emprise de la communauté sur l’individu et une absence totale de distinction entre la société et l’État. La vie publique reposait sur une confusion entre le religieux et le politique. La philosophie s’est alors interrogée sur l’ordonnancement social de la cité, créant des notions telles que l’égalité, la citoyenneté, la liberté, le droit, la loi, la participation, et l’équilibre des pouvoirs. Ces concepts ont servi à désigner différents régimes politiques comme la démocratie, l’aristocratie et la monarchie. À Rome, la notion de liberté dépendait des lois et des institutions républicaines.

L’avènement de la cité-État (polis) et la naissance de la philosophie ont introduit la raison dans la pensée savante et dans l’organisation de la vie publique. La délibération est devenue la voie la plus légitime pour définir les règles de la vie sociale, et la philosophie a commencé à servir d’instrument de réflexion politique.

La civilisation mycénienne, durant le deuxième millénaire avant Jésus-Christ, était composée de puissantes royautés exerçant un contrôle rigoureux sur l’ensemble des activités sociales. Cette civilisation dite « palatiale » s’organisait autour du palais, où le souverain anax concentrait toutes les formes de pouvoir : il surveillait les activités commerciales, conduisait la guerre, rendait la justice et dirigeait un système administratif développé. Le territoire mycénien était vaste et constitué de communautés rurales autonomes dirigées par une aristocratie guerrière, les grandes familles (génè), soumises à l’autorité locale des seigneurs (basileia), eux-mêmes vassaux du roi.

Le souverain jouait également un rôle religieux central. La théologie grecque de l’époque était une pensée allégorique, prenant la forme du mythe, et la pensée politique était indissociable des représentations religieuses. Ainsi, les activités sociales et politiques étaient justifiées par les mythes.

Au XIIe siècle avant Jésus-Christ, les tribus doriennes venues du Nord envahirent la Grèce, marquant le début de la période archaïque. Les génè conservèrent leur pouvoir et dominèrent les communautés rurales, mais l’anax et le système palatial disparurent. Le principe de commandement (archè) passa de l’omnipotence d’un seul à une conception plus abstraite du pouvoir, qui se dissocia de l’homme qui l’exerçait et se scinda en plusieurs fonctions. De nouvelles magistratures furent mises en place dans la Grèce archaïque, avec une spécialisation des charges : les basileia conservèrent les responsabilités religieuses, tandis que le polémarque devint le chef des armées et l’archontat le pouvoir civil.

Entre le VIIIe et le VIe siècle avant Jésus-Christ, les cités-États virent le jour, contrôlées par les eupatrides, des minorités aristocratiques. Ces cités s’éloignèrent de la royauté sans toutefois adopter la démocratie. Chaque cité était une unité politique restreinte, indépendante, avec son propre régime, où l’ordre politique reposait sur le corps social associant tous les individus pour définir un objectif commun capable de répondre aux exigences présentes et à venir.

L’argumentation, ou l’art de la parole, prit une importance croissante dans la conduite des affaires publiques. Les débats publics devinrent courants, marquant le début d’une distinction entre les sphères publique et privée. La communauté se définissait désormais par un objectif commun dicté par la raison, où le lien social trouvait son fondement non plus dans la théogonie, mais dans l’activité sociale elle-même. La vie publique se justifiait et se développait en dehors de la religion, avec l’apparition d’une religion officielle administrée par la communauté. L’archè (le pouvoir) ne se confondait plus avec le hieros (ordre du sacré).

La philosophie chercha à parvenir à la vérité par l’étude des principes et des causes physiques ainsi que de la morale. Avec la pensée milésienne, les cosmogonies mythiques furent abandonnées au profit de recherches rationnelles sur l’origine du monde. Anaximandre, par exemple, proposa l’idée d’un ordre géométrique où un équilibre entre des forces considérées comme égales (régime de l’isonomia) se maintient. Cette vision entraîna l’idée d’un ordre social équilibré où le pouvoir ne pouvait plus être contenu entre les mains d’un seul homme, et où chaque citoyen devenait un élément constitutif de l’ordre politique.

L’essor de la pensée rationnelle fut indissociable de l’émergence de la cité. La raison contribua à la reconnaissance de l’égalité de tous les esprits devant la vérité, justifiant ainsi la possibilité pour tous les citoyens de s’exprimer sur la place publique. Cette égalité des esprits conduisit à une égalité des droits, ouvrant progressivement le pouvoir politique (kratos) au peuple (demos). Les premières expériences démocratiques reconnurent l’égalité des citoyens face à la loi, instaurant une isonomie.

En opposition à la raison, le terme « métis » désigne la ruse et l’intelligence politique fondée sur l’astuce, l’habileté, l’adaptation et la souplesse, caractérisant les esprits rusés soucieux de réaliser leurs fins. Parallèlement, des spiritualités se développèrent pour défendre une conception sacrée du lien communautaire. La distinction entre raison et pensée mythique n’était pas toujours nette, la philosophie s’exprimant également dans des lieux où cohabitaient raison et démarche ésotérique.

Les philosophes de l’époque n’assignaient pas à la raison une vocation universelle permettant de maîtriser le monde naturel. Ils ne contestaient pas les lois régissant l’univers, cherchant plutôt le bien commun. Durant la période archaïque, les premières cités restaient largement sous l’emprise de l’aristocratie des eupatrides. L’expansion coloniale grecque enrichit cette aristocratie et la coupa des milieux ruraux, menant à des soulèvements et obligeant à des réformes publiques au VIIe siècle avant Jésus-Christ, marquant le début de la loi et des premières expériences démocratiques.

L’âge classique (VIe-IVe siècles avant Jésus-Christ) vit une évolution des mœurs et des savoirs ainsi que de nouvelles expériences politiques. Les philosophes jouèrent un rôle crucial dans ces transformations. La sphère des affaires publiques s’appuyait désormais sur des lois communes. Les lieux de la vie commune devaient s’organiser selon des principes d’équilibre et de justice, indépendamment de l’autorité aristocratique familiale. La monarchie (concentration hiérarchique de l’autorité) céda la place à la dikè : une justice exprimée par une norme supérieure établie par la raison humaine et assurée par une publicité écrite. Aucun individu ne pouvait s’y soustraire sans le consentement de tous.

La citoyenneté, en tant que concept, a émergé comme un moyen de répondre aux tensions sociales internes. La question de l’égalité, ou isotès, devient un enjeu central dans les luttes sociales, mais elle est interprétée différemment selon les perspectives.

Pour l’aristocratie, l’isotès est vue comme l’eunomia, ou égalité proportionnelle, un concept élaboré par Platon dans « La République ». Cette égalité impose l’esprit de la juste mesure, le metrion, et prend en compte la valeur inégale de chaque groupe dans la société. Il y a l’idée d’une hiérarchie sociale naturelle, où les pouvoirs sont proportionnés à la vertu de chaque groupe.

En revanche, pour les démocrates, l’isotès est synonyme d’isonomia, ou égalité absolue, ce qui implique une participation égale de tous les citoyens à la vie politique. La démocratie naît ainsi de cette dualité, avec le pouvoir du peuple (demos) indissociable de l’évolution de l’organisation sociale de la Grèce. Cette période voit la naissance de la Cité, l’apparition de l’espace public, et le déclin de la pensée mythique au profit de l’esprit critique.

La démocratisation se présente comme une réponse à la crise de l’ordre aristocratique. Sur le court terme, elle est pour les législateurs une tentative de maintenir la paix sociale. Les grandes réformes athéniennes illustrent bien ces nouvelles idées politiques.

Solon, par exemple, introduit le principe d’eunomie. Il aménage la Constitution pour reconnaître une pluralité de forces politiques, seule voie pour imposer la justice, ou dikè. Il divise la société en quatre classes de citoyens selon des conditions de cens et crée un Conseil de quatre cents membres. La législation (nomos) doit être respectée par tous.

Clisthène, en revanche, introduit le principe d’isonomie. Il fonde l’Assemblée du peuple (ecclesia) et fait de l’Agora le lieu de réunion et le centre politique d’Athènes. Il regroupe les citoyens de manière géographique, ce qui renforce le sentiment d’appartenance à la communauté civique.

Périclès continue sur cette voie en maintenant le principe d’isonomie et en introduisant la rétribution des charges. Cela permet de dédommager les citoyens pour le temps consacré à la vie publique par des compensations financières, facilitant ainsi la participation des citoyens les plus modestes.

Cependant, l’isonomie n’est pas étendue à tous les individus de la Cité. Les femmes, les métèques (étrangers résidents) et les esclaves en sont exclus. De plus, des inégalités persistent au sein même de la communauté civique. L’accès aux magistratures est souvent basé sur les mérites, et la citoyenneté reste strictement héréditaire. Les pauvres, souvent obligés de travailler pour subvenir à leurs besoins, n’ont pas toujours le temps de participer à la vie publique.

Un autre problème survient avec les rhéteurs éloquents, qui parviennent à gagner l’adhésion de tous. Ce danger de la démocratie extrême est dénoncé par des penseurs comme Platon et Aristote, qui parlent de l’hybris, ou démesure destructrice, menaçant la stabilité et l’équilibre de la société. Ces critiques soulignent les risques inhérents à une démocratie où la démagogie peut prévaloir, conduisant à une concentration du pouvoir entre les mains de quelques individus capables de manipuler l’opinion publique.

Les sciences politiques s’enracinent dans la philosophie

L’essence de l’univers et le développement de ses composantes sont des questions fondamentales de la philosophie antique. Héraclite propose une perspective d’un monde en perpétuelle transformation, animé par des forces contraires. Il célèbre le feu comme matière primordiale, dont l’interaction avec la mer, la terre et l’atmosphère crée un ordre universel. Cette vision d’un conflit permanent assurant l’harmonie se reflète dans le concept du logos, principe universel régissant l’ordre du monde et assurant sa continuité dans un cycle de mort et de renaissance.

Dans la société humaine, cet équilibre est recherché à travers la dikè, ou justice, par l’équilibre entre les classes sociales et le respect des lois. Toute injustice est perçue comme hybris, une démesure destructrice.

Avec le développement de la réflexion sur l’homme, la nature n’est plus le seul cadre de pensée. Les sophistes, professeurs itinérants de rhétorique installés à Athènes, jouent un rôle crucial dans cette transition. Protagoras, ami de Périclès, affirme que « l’homme est la mesure de toute chose ». Pour lui, la connaissance se construit à travers des sensations individuelles, variant d’une personne à l’autre. Son engagement en faveur de la démocratie se reflète dans le mythe de Prométhée, où l’art politique est conçu comme une création humaine pour vivre ensemble.

Gorgias voit la rhétorique comme source de toute autorité. Prodicos, avec sa connaissance de la stylistique, enseigne une morale du travail, tandis qu’Hippias démontre les qualités persuasives d’une érudition combinant diverses disciplines. Thrasymaque, quant à lui, souligne que le pouvoir est un rapport de force où chacun cherche à dominer l’autre. Selon lui, les lois reflètent les intérêts des plus forts. Antiphon considère la loi comme une construction artificielle, dont la violation n’est pas répréhensible si l’on échappe à la punition, contrairement à la transgression des lois naturelles. Critias, membre des Trente Tyrans, et Calliclès, défenseur du droit du plus fort, soutiennent une justice fondée sur la physis, ou nature, par opposition au nomos, ou loi, perçue comme une invention des faibles.

Les sophistes montrent que le langage, qui distingue l’homme de l’animal, est un instrument puissant permettant de transformer le monde. Ce renouvellement de la pensée philosophique marque une rupture avec la pensée mythique et introduit une distinction entre le monde de la nature (physis) et le monde des hommes (nomos).

Socrate, dont l’enseignement est principalement oral, utilise la méthode dialectique de la maïeutique pour amener ses interlocuteurs à découvrir les vérités qu’ils portent en eux. Accusé d’impiété et de corruption de la jeunesse, il est condamné à boire la ciguë. Son célèbre « Connais-toi toi-même » encourage à se libérer des opinions superficielles (doxa) pour atteindre le Bien et le Juste, posant ainsi les bases de la démarche scientifique. Socrate se montre sceptique à l’égard de la démocratie athénienne, prônant que la sagesse et l’intelligence devraient guider les charges politiques, plutôt que des magistrats élus ou tirés au sort. Pour lui, la politique exige une excellence morale et une connaissance du Bien.

Platon, contemporain de Socrate et observateur critique de la démocratie athénienne, se prononce sur les formes idéales de gouvernement dans La République, Le Politique, et Les Lois. Il ne cherche pas à établir le meilleur gouvernement, mais à réfléchir sur les conditions idéales pour réaliser le bien, la morale et la vérité. Platon fonde l’ordre politique sur la morale, avec un gouvernement reposant sur l’excellence des meilleurs et un ordre social hiérarchisé. La justice politique, selon lui, repose sur le savoir maîtrisé par la raison, et seule la philosophie permet de connaître les essences et d’agir vertueusement.

Pour Platon, la bonne politique met en œuvre la justice, qui réside dans les qualités morales des citoyens et leur quête du bonheur commun, en méprisant les richesses personnelles. Un gouvernement est bon lorsque chaque citoyen agit conformément au Bien. La politique doit être dirigée par ceux qui maîtrisent l’art de gouverner, possédant vertu et raison. Socrate incite le philosophe à se retirer du monde, tandis que Platon affirme que le philosophe doit réorganiser la communauté. La cité platonicienne, grâce à des règles valorisant les qualités morales des citoyens, doit lutter contre les divisions et conduire à une plus grande justice entre les hommes.

Dans La République, Platon envisage une société idéale où les charges et les pouvoirs sont répartis selon les capacités de chacun. Il préconise de confier le gouvernement aux plus vertueux, les gardiens, qui vivent en communauté sans posséder de biens personnels pour éviter toute corruption. Ils n’ont pas de vie familiale. Ces gardiens sont assistés par des gardiens auxiliaires, les guerriers. Le reste de la population, composée d’artisans, de paysans, de commerçants et de marins, peut accumuler des richesses sans risque de corrompre la société, car ils n’ont aucun pouvoir. Platon insiste sur l’incompatibilité entre pouvoir et richesse, considérant le mélange des classes comme la pire des injustices, menant à l’accroissement des inégalités et au désordre. Il préconise une collectivisation de la société, supprimant la distinction entre sphère privée et publique, et établissant un système disciplinaire autoritaire. Ce modèle aristocratique et hiérarchisé est conçu pour prévenir la corruption.

Platon argue que le pouvoir doit être confié aux philosophes, car le dirigeant doit connaître l’art du gouvernement, qui prévaut sur la jurisprudence, la rhétorique et l’art militaire. Le philosophe doit être capable d’identifier le Bien. La connaissance est placée au cœur de la vie sociale, avec une importance particulière accordée à l’éducation physique, intellectuelle et morale des gardiens. En fin de vie, Platon admet que le roi et le philosophe diffèrent, le philosophe devant simplement conseiller le prince.

Platon propose une typologie des formes de gouvernement, théorisant la dégénérescence du modèle de la cité grecque. Il décrit une évolution des régimes, de la timocratie, fondée sur l’honneur, à l’oligarchie, où la richesse remplace la vertu, menant à la révolte des pauvres. La démocratie, selon lui, est un régime des plus miséreux contre les plus fortunés, conduisant à l’injustice en cherchant l’égalité sans considération des compétences individuelles. Enfin, la tyrannie émerge lorsque le peuple cherche des chefs capables de restaurer l’ordre, mais finit asservi par un homme usant de la violence.

Dans Le Politique, Platon affirme que le chef doit pouvoir s’affranchir de la loi écrite, car elle n’est pas infaillible. Toutefois, en l’absence de philosophe-roi, la loi limite les risques de dérives despotiques. Il critique les excès du pouvoir absolu, prônant la modération et l’équilibre pour des décisions justes. Il présente une nouvelle classification des constitutions, où le respect des lois est le critère d’analyse. Dans ce cadre, la monarchie est le meilleur régime parmi ceux respectant les lois, suivie de l’aristocratie, tandis que la démocratie est la moins pire des régimes corrompus. Platon conclut que la vertu d’un régime dépend de la vertu du gouvernant.

Dans Les Lois, Platon défend la primauté de la sagesse face aux lois, bien que les lois puissent préserver des pires injustices et maintenir l’ordre social. Il soutient une constitution mixte, un compromis entre monarchie et démocratie, qui sacrifie la liberté individuelle pour le bien commun.

Aristote, disciple de Platon, critique l’idéalisme de son maître, adoptant une approche plus empirique. Dans Les Politiques, il développe une vision organiciste de la cité (polis), qu’il considère comme une réalité naturelle, un prolongement nécessaire de la famille et du village. Les familles et villages, comme des organes, sont essentiels à la vie sociale, mais la cité autonome (autarkeia) est nécessaire pour l’épanouissement complet.

Pour Aristote, la polis est une communauté permettant à chacun de réaliser sa vie morale. L’homme, être politique et moral doué de parole (logos), se réalise pleinement au sein de cette communauté. Il n’y a pas de séparation entre vie politique et vie éthique, et la vie bonne résulte de l’assemblage de la sagesse pratique (phronesis) et de la sagesse de la connaissance (sophia).

Aristote distingue les régimes politiques en fonction du nombre de dirigeants et de l’intérêt commun, les classant en constitutions correctes (monarchie, aristocratie, et politie) et déviées (tyrannie, oligarchie, et démocratie). Il reconnaît cependant la diversité des réalités grecques et la complexité des régimes, soulignant l’importance de l’organisation interne des constitutions, notamment la répartition des magistratures.

Aristote introduit trois catégories de fonctionnaires : les dirigeants politiques adaptant les lois au bien commun, les nomothètes définissant les règles régissant la cité, et les philosophes éduquant moralement et intellectuellement les nomothètes. Les constitutions sont analysées selon trois fonctions principales : la délibération sur les affaires publiques, la prise et l’application des décisions, et les verdicts de justice.

Aristote – Des Familles à l’État

Aristote prône la modération face aux passions destructrices et reconnaît le relativisme des constitutions, n’existant pas de constitution idéale. La bonne constitution est celle qui permet aux institutions de s’adapter et de durer. Il propose une constitution mixte, combinant oligarchie et démocratie, confiant le pouvoir à une classe moyenne entre riches et pauvres. Cette classe, majoritaire et possédant quelques biens, évite les excès des riches et des pauvres. Aristote accorde des fonctions délibératives et judiciaires au peuple, encadré par des lois, pour assurer une gouvernance stable et juste.

C’est ainsi que la politique s’est profondément enracinée dans la philosophie antique. Encore aujourd’hui, les traces de la pensée grecque sont indubitables dans la façon d’appréhender la politique dans le monde occidental. La Rome antique compte d’importants philosophes. Mais en ce qui concerne la politique, le développement le plus marquant à cette époque réside davantage dans l’émergence de la discipline du droit.

Le droit constitue le tronc de la politique

La République romaine et l’Empire représentent deux expériences politiques marquées par l’essor du droit savant. Durant l’âge hellénistique, marqué par les conquêtes de l’armée romaine, les traditions grecques se diffusent. L’expansion romaine, particulièrement sous la République et les guerres puniques, voit la formation d’un système républicain destiné à prévenir toute forme de tyrannie.

La structure républicaine se divise en deux groupes principaux : les patriciens et les plébéiens. Les patriciens, appartenant aux grandes familles, contrôlent les magistratures, incluant deux consuls (pouvoir exécutif), un préteur (pouvoir judiciaire) et un censeur (maintien des bonnes mœurs). Ils ont un accès privilégié aux assemblées délibératives comme le Sénat et l’assemblée centuriate. Les plébéiens, quant à eux, luttent pour leurs droits et la reconnaissance de leur citoyenneté romaine.

Le Haut-Empire commence avec Octave, sacré Augustus, qui prend le titre d’imperator, contestant ainsi l’autorité du Sénat. Durant cette période, la romanisation de l’Empire se poursuit. Le Bas-Empire, en revanche, est marqué par la fin de la pax romana, la reconnaissance des droits des chrétiens sous Constantin, les invasions barbares et le morcellement de l’Empire.

Des structures administratives et juridiques permanentes sont imaginées pour assurer la suprématie du droit, promouvoir l’idée de liberté et réaliser le rêve d’une civilisation universelle. L’ambition est d’imposer des institutions universelles, soutenues par la force du droit. Le système juridique et administratif est conçu pour le bien commun, garantissant la stabilité des relations sociales et une justice égale pour tous les hommes.

Dans cette vision, le droit et la liberté sont indissociables. La liberté est définie par l’ensemble des droits civiques et personnels accordés à chaque citoyen, et est liée au respect de la loi, rempart contre le despotisme. Cependant, l’idée de citoyenneté demeure ambiguë, reflétant les traits aristocratiques de la République où le pouvoir est aux mains des grandes familles. La dignitas (autorité due au prestige) et le cursus honorum (parcours nécessaire pour atteindre une fonction) révèlent une conception élitiste du pouvoir. La liberté devient ainsi une frontière entre Rome et le reste du monde, entre le citoyen et l’homme réduit à la servitude.

Le droit romain vise à réaliser une unité politique sous l’égide de Rome, unifiant la cosmopolis, la cité universelle, pour fédérer les hommes dans une même civilisation. Toutefois, cette liberté est contrariée par le régime impérial où les droits dépendent du bon vouloir de l’empereur. Le droit romain n’est pas un corpus cohérent de règles écrites. La loi des Douze Tables, premier texte juridique romain ayant force de loi, répartit les droits civils et politiques entre les grandes familles romaines et les nouveaux arrivants pauvres, posant les bases du jus civile (droit civil) attaché à la citoyenneté romaine. Cependant, les droits des citoyens reposent largement sur la coutume.

Le droit se développe principalement à travers des mécanismes jurisprudentiels plutôt que législatifs, avec un accent sur le domaine privé. Stimulé par le commerce, il évolue sous forme d’édits ou d’attendus particuliers, formant le droit prétorien qui s’ajoute au droit civil. Des jurisconsultes apparaissent, participant à l’interprétation et à l’application du droit.

Sous l’Empire, la volonté de l’empereur devient la source principale du droit, entraînant la disparition des assemblées et l’abandon des édits prétoriens. Le Sénat est domestiqué et les constitutions impériales deviennent la seule source de droit dès Constantin. Des tentatives de compilation sont entreprises, comme celles de Justinien, qui publie le Code, les Institutes et le Digeste. Les invasions barbares contribuent au déclin du droit universel, remplacé par des droits vulgaires.

La pensée romaine est influencée par le stoïcisme, fondé par Zénon, qui prône la connaissance de la nature comme lieu de sagesse. L’homme doit mépriser la vie matérielle artificielle et réfréner ses passions, cherchant le perfectionnement moral. Cette philosophie soutient une vision universelle de l’humanité, où les hommes, reliés par une nature commune insufflée par la loi divine, doivent se retrouver dans une même civilisation.

Polybe, historien grec (205-125 avant J.-C.), vulgarise la pensée grecque et analyse l’expansion de Rome dans ses Histoires. Il décrit le fonctionnement de la République romaine, soulignant la supériorité de ce régime en raison de l’équilibre entre ses institutions. Polybe reprend la typologie classique des constitutions pour montrer que la République romaine réalise une combinaison vertueuse des différentes formes de gouvernement : les deux consuls représentent la monarchie, le Sénat incarne l’aristocratie, et la représentation politique du populus romanus symbolise la démocratie. Chaque composante dépend du soutien des autres, empêchant l’imposition de la volonté d’une seule.

Polybe développe également la théorie de l’anacyclosis, un processus de dégénérescence des régimes politiques. Il décrit une succession cyclique de formes de gouvernement : la monarchie, forme brute initiale, dégénère en tyrannie à cause des désirs personnels du roi. Cette tyrannie est renversée par les meilleurs citoyens qui instaurent une aristocratie, laquelle dégénère en oligarchie. Le peuple se soulève alors pour fonder une démocratie, mais celle-ci sombre dans l’ochlocratie, caractérisée par le désordre et la violence, conduisant au retour d’un monarque pour rétablir l’ordre. Polybe ne mentionne pas les tensions entre les grandes familles et les représentants de la plèbe, se concentrant sur une vision déterministe de l’évolution des régimes politiques.

Cicéron (106-43 avant J.-C.), avocat et consul, accorde une place essentielle à la morale dans son œuvre politique. Animé par un souci d’universalité, il vise à lutter contre les conspirations et à restaurer l’autorité de l’État en imposant le respect du droit. Dans De Republica et De Legibus, il souligne l’importance de la loi naturelle, la nécessité de recourir à la raison et à la connaissance, ainsi que les exigences d’un régime fondé sur la res publica (chose publique).

La droite raison, qui permet de rechercher le juste et le bien, découle de l’ordre de la nature, autrement dit la loi naturelle ou summa lex. Cette loi naturelle est antérieure et supérieure à tous les actes humains. La sagesse politique consiste donc à élaborer des lois humaines qui reflètent les exigences de cette loi naturelle, tout en reconnaissant la distinction entre les lois positives humaines, imparfaites, et la norme suprême universelle.

Cicéron estime que la rationalité humaine est un instrument de gouvernement essentiel pour produire des lois justes. Il préconise un abandon de la mythologie au profit d’une expérience concrète du pouvoir et d’une maîtrise du savoir politique par les dirigeants. De plus, il souligne la nécessité de l’éloquence pour la conduite des affaires publiques.

La participation du peuple est également cruciale selon Cicéron : la res publica est la res populi (chose du peuple). Un pouvoir juste doit être au service de la société, et les magistrats ne doivent appliquer le droit que dans l’intérêt de tous, étant eux-mêmes soumis aux lois. La République doit promouvoir une répartition équitable des droits et des devoirs, sanctionnant la valeur des individus et protégeant les droits des gouvernés. Pour ce faire, Cicéron propose une constitution mixte, incluant une autorité supérieure et royale, une part accordée aux grands, et des affaires laissées au jugement et à la volonté de la multitude. Le rôle du princeps est essentiel, non pas comme roi, mais comme le meilleur des citoyens. Le Sénat joue également un rôle crucial. La libertas est accordée aux citoyens qui peuvent élire magistrats et sénateurs.

Cependant, sous l’Empire, le bon vouloir impérial l’emporte. L’imperium (droit de commander) de l’empereur est sans limites. Il est imperator (chef militaire), princeps (plus haut magistrat) et augustus (personne sacrée possédant le pouvoir spirituel). Les savants de l’époque s’intéressent donc au comportement individuel du princeps.

Sénèque (4-65 après J.-C.), qui assure l’éducation de Néron et devient consul, tombe en disgrâce et reçoit l’ordre de se suicider de la part de Néron. Dans De Clementia, Sénèque critique le pouvoir de celui qui ne tire plus sa légitimité du peuple et expose les devoirs du prince, exaltant sa vertu idéale : la clémence, en opposition à la cruauté. Il refuse la violence comme instrument de pouvoir. Dans De Beneficiis, Sénèque détaille les vertus dont la noblesse doit faire preuve, notamment la capacité à distribuer et recevoir des bienfaits.

Marc Aurèle (121-180 après J.-C.), empereur inspiré par la morale stoïcienne, rédige ses Pensées, où il prône une attitude morale axée sur la bonté, la simplicité et la justice. Tout dirigeant, selon lui, doit distinguer la société de la nature, où domine la raison universelle inscrite dans le cosmos et la nature humaine, de la société des hommes dans la cité. L’empereur doit agir en philosophe, respectant la raison naturelle et se conformant à la vertu philosophique. Cette doctrine de la dignité personnelle exige de respecter la raison naturelle et de se conformer à la vertu philosophique.

Ce cours a donc retracé l’évolution des systèmes politiques et juridiques depuis la civilisation mycénienne jusqu’à l’époque de Marc Aurèle. Il aura notamment exploré l’émergence de la Cité polis, l’influence de la pensée grecque sur la philosophie politique, et le développement du droit romain sous la République et l’Empire. Par là même, c’est le concept de politique tout entier qui a pris de l’épaisseur.

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