La liberté extérieure
La liberté est un idéal que nous poursuivons avant même de comprendre sa véritable signification. La notion de liberté revêt diverses facettes, parmi lesquelles se distingue la liberté extérieure, c’est-à-dire la liberté d’agir sans entraves. Thomas Hobbes, dans son ouvrage Léviathan (1651), définit cette liberté comme l’absence d’opposition ou d’obstacles extérieurs. Pour Hobbes, la loi, bien qu’elle ne soit pas un obstacle physique, fonctionne de manière similaire en interdisant certaines actions par la menace de sanctions. Ainsi, la loi limite la liberté, mais elle en assure aussi la sécurité en empêchant les autres de nuire.
La distinction entre liberté négative et liberté positive permet d’approfondir cette réflexion. La liberté négative est l’absence d’entraves, tandis que la liberté positive est la capacité d’agir et de participer activement à la vie publique. Dans une dictature, la liberté se limite souvent à la liberté négative, tandis que dans une démocratie, la liberté positive permet une participation active à la société.
La liberté d’expression est une manifestation de la liberté politique, mais elle comporte des limites justifiées par des motifs tels que le respect des individus, la prévention des actes nuisibles et le maintien de l’ordre étatique. Toutefois, la restriction de la liberté d’expression doit être équilibrée pour ne pas devenir plus nuisible que les propos qu’elle vise à contrôler.
Le travail est souvent perçu comme une contrainte nécessaire pour obtenir une liberté concrète à court terme : la liberté de consommer grâce au salaire gagné. Cependant, cette forme de liberté est temporaire. Une vision plus profonde du travail, selon Hegel, est celle de l’apprentissage et de l’acquisition d’un savoir-faire. Ce processus permet de monter dans la hiérarchie socio-économique, symbolisant une libération progressive de l’individu par la maîtrise des compétences.
Karl Marx propose une perspective encore plus essentielle : la libération par la technique. L’idée est que les progrès techniques, en automatisant les tâches laborieuses, libèrent l’humanité du travail pénible. Ainsi, l’augmentation de la productivité grâce à la technologie réduit le temps nécessaire pour atteindre les mêmes résultats, promettant une future émancipation du travail.
La liberté intérieure
La liberté intérieure est un concept plus complexe, impliquant la volonté humaine et la métaphysique. Les Stoïciens, tels qu’Épictète, prônent une liberté de vouloir absolue, où la véritable liberté réside dans notre capacité à adhérer à la vérité intérieure, indépendamment des influences extérieures. Cependant, cette vision a ses limites, car nous ne sommes pas toujours libres de vouloir n’importe quoi.
Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant conçoivent la liberté de vouloir comme une capacité de s’opposer à nos instincts, différenciant l’homme de l’animal. Pour Descartes, la liberté de penser et de vouloir est une évidence, une expérience immédiate de notre autonomie intellectuelle.
Cependant, cette liberté intérieure est souvent un fardeau. Kant souligne que la véritable liberté de penser implique une responsabilité et une fatigue mentale, poussant souvent les individus à chercher des conforts aliénants, tels que des habitudes, idéologies, ou relations affectives, pour échapper à l’insoutenable légèreté de l’être.
L’aliénation est une limitation de notre liberté, souvent vue comme une aliénation intérieure. Pour Freud, l’inconscient est une partie de nous-mêmes qui nous échappe, constituant une aliénation potentielle de notre conscience par notre inconscient. Les existentialistes comme Heidegger et Sartre développent cette idée, décrivant l’existence inauthentique où l’individu vit selon les normes imposées par la société, renonçant à sa propre liberté et authenticité.
Nietzsche propose une conception radicale de l’aliénation, affirmant que toute conscience est une forme d’aliénation, une simplification et une corruption du contenu inconscient original. Pour se libérer de l’aliénation, il ne suffit pas de rejeter toutes les influences, mais plutôt de naviguer entre elles consciemment et stratégiquement.
La théorie de l’aliénation est critiquée pour son implication qu’un individu aliéné ne vit pas selon ses véritables désirs. Cette affirmation suppose une connaissance de la vérité interne de l’individu, rendant la détermination de l’aliénation complexe. Noam Chomsky note que les médias influencent davantage les classes supérieures, remettant en question les idées traditionnelles de lavage de cerveau.
Liberté et déterminisme
Le déterminisme pose un défi à la notion de liberté, suggérant que tout est prédéterminé par des causes antérieures. Si l’homme est déterminé, il semble qu’il ne puisse être véritablement libre. Cependant, la compatibilité entre liberté et déterminisme dépend de la conception de la liberté. Si la liberté est vue comme indépendance et spontanéité, elle s’oppose au déterminisme. Si elle est vue comme adhésion à soi et obéissance à la raison, le déterminisme ne pose pas de problème.
Ces questions se rapportent principalement à la liberté intérieure. La liberté extérieure dépend de conditions physiques et politiques, tandis que la liberté intérieure engage des considérations métaphysiques sur la nature de l’univers et de la volonté humaine.
L’affirmation du libre arbitre
Si l’on conçoit la liberté et le déterminisme comme contradictoires, c’est souvent parce qu’on perçoit la liberté comme une forme d’indépendance totale. Cette perception évolue de l’idée de liberté comme absence d’entraves extérieures vers une liberté sans aucune contrainte, qu’elles soient extérieures ou intérieures. Ainsi, un phénomène libre serait celui qui ne découle d’aucune cause, seulement du pur hasard, comme un lancer de dé. L’écrivain français André Gide (1869-1951) avait une telle conception de la liberté, qu’il pensait comme un acte gratuit, c’est-à-dire un acte sans cause.
Jean-Paul Sartre est également un philosophe qui semble opposer déterminisme et liberté. Sa solution réside dans l’affirmation que l’homme est libre car « l’existence précède l’essence » : il n’y a pas de nature humaine prédéfinie. L’homme n’est pas une chose définie, mais un néant, ce qui signifie que grâce à sa capacité de projection, il n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. Ainsi, selon Sartre, l’homme peut être libre malgré le déterminisme universel.
Martin Heidegger a trouvé une solution subtile à la contradiction entre déterminisme et liberté. Pour lui, la liberté est avant tout la capacité de projeter un monde, de connaître la vérité, de comprendre. Il affirme que cette liberté est antérieure à la causalité, car la causalité fait partie des idées construites par la liberté. Ainsi, puisque la liberté de penser le monde précède la causalité, cette dernière ne peut porter atteinte à la liberté.
Le libre arbitre est une illusion
Les partisans du libre arbitre défendent l’existence de la liberté contre le déterminisme. Selon eux, tous les phénomènes naturels sont déterminés, mais l’homme échapperait à cette loi de causalité. Pourtant, si tout est déterminé, le sentiment de liberté doit être une illusion. Ce point de vue est soutenu par des penseurs comme Spinoza et Nietzsche (ainsi que Marx et Freud).
Spinoza affirme que l’homme se croit libre simplement parce qu’il est conscient de ses actes et de ses désirs. En voyant que ses actes correspondent à ses désirs, il conclut qu’il est libre. Mais en réalité, bien que les actes soient conformes aux désirs, ces désirs sont eux-mêmes déterminés. Il est peut-être erroné d’opposer la liberté au déterminisme, c’est-à-dire de définir la liberté comme l’absence de détermination. Le libre arbitre, tel qu’il est couramment compris, n’existe probablement pas, mais cela ne correspond pas nécessairement à ce que nous entendons par liberté.
→ Commentaire corrigé de la Lettre de Spinoza sur la liberté
L’indéterminisme ne constitue qu’une forme de liberté insignifiante. Le déterminisme, au contraire du fatalisme, implique que nos actes influencent notre avenir. Pour que nous puissions agir, il faut que le monde soit régi par des lois et des régularités observables.
Pour être libre, il faut être quelque chose. Penser la liberté comme l’absence totale de détermination, c’est imaginer une liberté divine, une liberté de créer à partir de rien, ce qui est incompréhensible et sans valeur. La liberté véritable requiert l’existence et la détermination.
Spinoza réfute une liberté conçue comme indéterminisme, mais il admet une autre forme de liberté : la libération par la connaissance adéquate du monde. Cette liberté consiste à être conscients que nous ne sommes que des instruments.
Henri Bergson propose une autre perspective où, dans un cadre déterministe, la liberté est définie comme une adhésion à soi. La liberté n’est pas l’évasion des lois naturelles, mais la lucidité et l’accord profond avec soi-même.
La liberté est la condition de la responsabilité, et la responsabilité est la condition de la moralité. Il y a donc un lien très étroit entre liberté et morale : la liberté est la condition de la morale. Pour Emmanuel Kant, la moralité en l’homme prouve sa liberté. Un ordre moral n’a de sens que si on peut lui obéir. Ainsi, la présence du devoir moral en nous démontre notre capacité à être libres.
Selon Sartre, l’homme n’a pas été créé par Dieu, et contrairement aux objets créés, son existence précède son essence. Cela signifie que l’homme n’a pas de nature prédéterminée et est libre de se choisir. Par conséquent, l’homme est absolument libre, et même condamné à être libre, car il ne peut renoncer à sa liberté.
Le lien entre liberté et moralité permet d’aborder la notion de liberté sous un angle critique ; si la liberté est nécessaire pour justifier les punitions morales et juridiques, elle pourrait bien être un mythe inventé à des fins pratiques, qu’en pensez-vous ? N’hésitez pas à laissez vos commentaires ci-dessous.
→ Rousseau – Liberté et égalité permettent le plus grand bien de tous
→ La liberté, droit de faire ce que les lois permettent – Montesquieu