B. Protéger la nature du travail des hommes
Le philosophe et scientifique Leibniz rappelle la « majesté » de la nature contre les prétentions des hommes. Ceux-ci ont cru par leur esprit concevoir des machines similaires à celles de la nature. Or la nature, par les mécanismes de la sagesse divine, produit des œuvres bien différentes et supérieures aux artifices humains, c’est-à-dire aux prétentions de l’homme de s’approprier la nature.
« Je suis le mieux disposé du monde à rendre justice aux modernes; cependant je trouve qu’ils ont porté la réforme trop loin, entre autres en confondant les choses naturelles avec les artificielles, pour n’avoir pas eu assez grandes Idées de la majesté de la nature. Ils conçoivent que la différence qu’il y a entre ses machines et les nôtres, n’est que du grand au petit. Ce qui a fait dire depuis peu à un très habile homme [Fontenelle], qu’en regardant la nature de près, on la trouve moins admirable qu’on n’avait cru, n’étant que comme la boutique d’un ouvrier. Je crois que ce n’est pas en donner une idée assez juste ni assez digne d’elle, et il n’y a que notre système qui fasse connaître enfin la véritable et immense distance qu’il y a entre les moindres productions et mécanismes de la sagesse divine, et entre les plus grands chefs-d’œuvre de l’art d’un esprit borné ; cette différence ne consistant pas seulement dans le degré, mais dans le genre même. »
Leibniz, Système nouveau de la nature et de la communication des substances, § 10L11, 1694
Martin Hedegger pousse l’analyse encore plus loin. Pour lui, la nature est désormais considéré comme un « fond » mis à disposition de l’homme. Il prend l’exemple d’une centrale électrique. Le fleuve est mis à la disposition des hommes, et n’est même plus considéré comme fleuve que parce qu’il permet à la centrale de fonctionner. Ainsi l’homme « arraisonne » la nature, lui somme de s’expliquer.
« La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle lui commande de livrer sa pression hydraulique, qui commande à leur tour aux turbines de tourner. Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commandés à des fins de transmission. Dans le domaine de ces conséquences s’enchaînant l’une l’autre à partir de la mise en place de l’énergie électrique, le fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commandé. La centrale n’est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l’autre. C’est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale. Ce qu’il est aujourd’hui comme fleuve, il l’est de par l’essence de la centrale. […]
Le dévoilement qui régit complètement la technique moderne a le caractère d’un commandement au sens d’une mise à disposition. […] Ce qui est ainsi commandé a sa propre position. Cette position nous l’appelons le fonds disponible pour être exploité. Il ne caractérise rien de moins que la manière dont est présent tout ce qui est atteint par le dévoilement qui met à disposition. »
Martin Heidegger (1889-1976), Essais et conférences, « La question de la technique »
Or l’homme est bientôt pris dans l’engrenage, victime de son propre système. En se soumettant à l’emploi, au poste de travail, il se laisse disposé. Il devient lui-même, à l’instar de la nature, le « fond » dans lequel l’homme cherche à puiser. C’est en ce sens que Heidegger affirme : « L’homme suit son chemin à l’extrême bord du précipice, il va vers le point où lui-même ne doit plus être pris que comme fond disponible. »
Cette question de l’exploitation de la nature se pose avec plus de vigueur encore alors que la révolution technologique de l’informatique, permise grâce au travail conjugué des ingénieurs du monde, et le réchauffement climatique, cette fois-ci accéléré par le travail des hommes, bouleversent l’appréhension du monde.