La Popularité des Grandes Fresques au XIXème Siècle
Au XIXème siècle, le genre de la « grande fresque » était particulièrement populaire. Ces récits ambitionnaient de raconter l’histoire de l’humanité dans son ensemble. Auguste Comte, avec sa loi des trois états, incarne parfaitement ce genre. Pour Comte, l’histoire progresse à travers trois étapes distinctes, chacune caractérisée par une organisation sociale spécifique et une nature particulière des connaissances :
- État théologique : Caractérisé par une organisation féodale et des croyances surnaturelles.
- État métaphysique : Marqué par le système militaire de l’ancien régime et des connaissances abstraites, manipulant des concepts.
- État positif : Dominé par des sociétés industrielles et une pensée scientifique qui travaille sur des faits et explore les relations entre eux.
En sociologie, il est crucial de se concentrer sur le « comment » des phénomènes et sur leurs modes d’action.
Dans Communauté et société de Ferdinand Tönnies, deux types de volonté sont décrits :
- Volonté organique : Basée sur le plaisir de l’habitude, elle donne naissance à la communauté. Dans cette configuration, l’intérêt collectif transcende l’intérêt individuel.
- Volonté rationnelle : Fondée sur des relations de groupement élémentaire, comme la famille. Cette volonté engendre la société, où l’intérêt individuel dépasse l’intérêt collectif.
Tönnies ne dit pas explicitement que la société succède à la communauté, mais il établit une distinction nette entre les deux.
Division du travail : un enjeu sociologique
Durkheim se positionne dans cette tradition de grandes fresques en prenant un objet d’étude immense, montrant ainsi la sociologie dans son extension maximale : la division du travail.
La division du travail était un sujet brûlant à l’époque. Pour Durkheim, il ne s’agit pas seulement d’un enjeu scientifique mais aussi d’une stratégie d’impérialisme disciplinaire. Alors que l’économie, rivale de la sociologie, tente d’expliquer la division du travail sur un plan matériel, Durkheim insiste sur une explication morale.
La division du travail est également liée à des enjeux politiques. Elle accompagne l’individualisation et l’atomisation de l’individu, qui devient son propre maître. Selon Durkheim, l’accroissement de la division du travail n’entraîne pas un désordre social mais plutôt un accroissement de l’individualisme.
Pour Durkheim, le droit constitue un indicateur objectif de l’état de la morale d’une société. Il distingue deux types de droit :
- Droit répressif : Sanctionne celui qui a commis une faute. Ce type de droit correspond à la solidarité mécanique, où la division du travail est peu poussée et où les individus réalisent des tâches similaires. Une personne déviante agresse alors la conscience collective, et la punir sévèrement est perçu comme la meilleure solution.
- Droit restitutif : Cherche à restaurer l’état initial de la victime. Ce droit correspond à la solidarité organique, caractérisée par une division du travail développée. Les tâches sont parcellisées et complémentaires, rendant les individus interdépendants.
Il est donc erroné de dire que l’accroissement de la division du travail diminue la solidarité entre les individus. Selon Durkheim, l’emprise de la société sur les individus change de nature. Durkheim rejette les explications purement économiques de cette transition. Il propose une explication démographique : l’augmentation du nombre d’individus conduit à une augmentation des relations, nécessitant une plus grande inventivité et entraînant ainsi une augmentation de la division du travail. Durkheim ne considère pas la division du travail comme une cause du désordre social. Cependant, il reconnaît qu’elle peut mener à des situations d’anomie, surtout amplifiées par l’absence de corporations qui régulent les relations entre les travailleurs.
En somme, l’œuvre de Durkheim sur la division du travail s’inscrit dans un contexte de grandes fresques historiques et sociologiques, tout en abordant des questions cruciales sur la nature de la solidarité sociale et le rôle du droit.