Nicolas Machiavel, auteur emblématique de la Renaissance, a écrit Le Prince en 1513, une œuvre qui a non seulement marqué son époque, mais aussi laissé une empreinte durable sur la pensée politique occidentale. Son nom est devenu synonyme d’une approche pragmatique et souvent cynique du pouvoir, où la fin justifie les moyens. Ce sont ces premières impressions que nous allons décortiquer. Après avoir lu cet article, vous comprendrez pourquoi une telle légende s’est formée autour de Machiavel et dans quelle mesure elle correspond aux faits. Bonne lecture !
Le machiavélisme : une philosophie controversée
Nicolas Machiavel, auteur de Le Prince en 1513, est le seul penseur politique dont le nom soit devenu synonyme d’un genre politique particulier, comme l’a observé Léo Strauss. Les termes « machiavélique » et « machiavélisme » conservent encore aujourd’hui une connotation péjorative. Pierre Bayle, dans son Dictionnaire de 1758, qualifie les maximes de Machiavel de « très mauvaises » et associe machiavélisme à l’art de régner tyranniquement. Seul Jean-Jacques Rousseau défend Machiavel en son temps, le considérant comme un maître de la feinte.
→ La pensée de Jean-Jacques Rousseau
Raymond Aron souligne que les condottieri et les Césars appliquaient déjà les leçons de Machiavel, mais sans la conviction d’agir correctement. Machiavel est peut-être le premier intellectuel à avoir donné bonne conscience aux méchants, selon Aron. Cela soulève la question : Machiavel est-il l’inventeur d’une technique de la tyrannie ou le père fondateur du réalisme politique ? Doit-on considérer la politique comme un art du succès, indépendant de toute moralité, ou refuser le mal même pour réussir ?
La vie mouvementée de Machiavel
La vie de Machiavel reflète les tumultes de l’histoire de Florence, une ville marquée par les affrontements violents entre deux clans puissants. En juin 1498, Machiavel est nommé secrétaire de la seconde chancellerie de la République de Florence. Il développe une vision de l’histoire comme un chaos imprévisible, côtoyant les plus grands princes de son temps. Toutefois, avec le retour des Médicis à Florence, Machiavel connaît la disgrâce, la prison et la torture. Le Prince est dédié à Laurent de Médicis, une ultime tentative pour retrouver la faveur du Prince, qui réussit : Machiavel revient aux affaires en 1520 mais meurt sept ans plus tard, à 58 ans.
→ Machiavel – La stabilité de l’État
Machiavel compare la Fortune à une « rivière torrentueuse », une représentation baroque du monde marquée par le mouvement, l’incertitude et l’inquiétude. Sa pensée politique repose sur une philosophie de l’histoire et une anthropologie négative, affirmant que « les hommes ont plus de penchant au mal qu’au bien ». Pour Machiavel, il serait aberrant pour un prince de ne pas tenir compte de la nature humaine et de la Fortune, marquant ainsi le début du réalisme politique.
L’art du pouvoir selon Machiavel
Machiavel attend du Prince qu’il sache durer, qu’il échappe à la Fortune et qu’il établisse son existence sur une institution politique stable. Le principal défi politique est de trouver un prince capable de faire face à l’imprévu, doté d’un pouvoir opportuniste et d’une capacité infinie d’adaptation. La ruse, selon Machiavel, n’est pas une qualité humaine mais un instinct animal, nécessaire pour échapper aux poursuivants, comme l’animal traqué trouve instinctivement un moyen de fuir.
Le Prince doit être un être double, capable de penser comme un homme et de ruser comme un animal, une créature hybride de nature et de culture. La réalité politique est ainsi inclassable, et le Prince devient insaisissable, aussi imprévisible que l’Histoire, mais en devenant aussi son maître.
→ Machiavel – Le Prince doit savoir feindre et dissimuler
Selon Machiavel, gouverner avec des idées fixes condamne un dirigeant à l’instabilité due à la versatilité des peuples. Le Prince, condamné à s’adapter à toutes les circonstances, ne peut tenir ses promesses et sa parole ne vaut que dans l’instant. Amoral, il utilise indifféremment le bien et le mal, bien que le recours au bien soit préférable pour une meilleure perception publique. La réalité prime toujours sur les idées en politique. Ainsi, Albert Camus affirme que la révolution ne peut jamais aboutir, car la réalité politique est en perpétuel changement.
→ Albert Camus – Révolte et révolution
Le Prince est essentiellement un guerrier, trompant par son apparence de paisible homme d’État. Machiavel offre des conseils pour la conquête du pouvoir et la conservation de ce qui a été acquis par la force ou la ruse. La guerre est « l’état normal » de l’action politique, une continuation de la politique par d’autres moyens. Machiavel rompt avec les conceptions antiques de la politique en détachant la morale de la politique. Le Prince est autorisé à s’écarter de la justice et de la recherche du bien si nécessaire, car la seule obligation du Prince est de durer et de s’adapter aux caprices de l’histoire.
En conclusion, le machiavélisme se réalise dans l’État moderne, fondamentalement amoral et inhumain. L’idée majeure est que la politique est une question « d’image ». Pascal, un siècle plus tard, affirme la même chose : il faut « paraître ». La domination véritable s’exerce par la force des images, rarement par les armes. Paraître pour le Prince, c’est pénétrer l’imaginaire de ses sujets, imposer une émotion et les leurrer fondamentalement.
→ Machiavel – Éviter les Révolutions
→ Comprendre le Discours de la servitude volontaire – La Boétie