Le complotisme et les fake news sont deux phénomènes qui ont pris une ampleur considérable dans notre époque numérique. Bien qu’ils soient apparentés, il est important de les distinguer pour comprendre les enjeux et les conséquences de ces phénomènes. Commençons par expliquer le complotisme, puis nous verrons les fake news, et nous pourrons finir avec une troisième partie comparant ces deux notions.
Le complotisme, qu’est-ce que c’est ?
Le complotisme, ou conspirationnisme, est la croyance que des événements sont orchestrés par des groupes ou des individus ayant des objectifs cachés. Ce phénomène peut couvrir un large éventail de sujets, incluant la politique, l’économie, la santé et la culture. Il se manifeste sous diverses formes, allant de la simple suspicion à des théories conspirationnistes complexes. Les motivations derrière ces théories peuvent être légitimes ou issues d’une méfiance excessive, de la paranoïa, voire de la manipulation.
Historiquement, le complotisme a varié en fonction des époques et des contextes sociaux. Au Moyen Âge, les lépreux et les Juifs étaient accusés d’empoisonner les puits ou de propager la peste noire. Pierre-André Taguieff parle de « microcomplots » pour désigner ces accusations locales. Avec la Révolution Française, des « mégacomplots » ont émergé, impliquant des groupes puissants comme les francs-maçons, les jésuites ou les Illuminati. Umberto Eco a exploré cette mentalité dans ses romans Le pendule de Foucault et Le cimetière de Prague. Le 20e siècle a vu naître la légende des Protocoles des Sages de Sion, un faux document prétendant révéler un complot juif pour dominer le monde. La montée du capitalisme a également nourri des théories conspirationnistes sur la finance internationale. Durant la Guerre Froide, les machinations présumées des pays communistes ou capitalistes ont alimenté ce phénomène. Plus récemment, des événements comme les attentats du 11 septembre 2001 ont été sujets à des théories du complot.
Les conspirationnistes rejettent souvent les explications officielles, perçues comme faisant partie du complot. Cette mentalité peut être alimentée par des cas réels de mensonges d’État, comme l’affaire du golfe du Tonkin ou la catastrophe de Tchernobyl, où les gouvernements ont dissimulé des informations. Toutefois, la désinformation et le manque de transparence renforcent cette méfiance, favorisant un terreau propice aux théories du complot. Ainsi, les adeptes du complotisme partagent souvent des traits de personnalité comme la méfiance et le sentiment de désorganisation, selon des études psychologiques. Ces théories offrent une explication simple à des phénomènes complexes, protégeant de l’angoisse en attribuant les maux du monde à un groupe malveillant. Elles permettent aussi aux conspirationnistes de se sentir valorisés en tant que révélateurs de « vérités » cachées.
Cependant, le complotisme peut avoir des conséquences graves, allant de la stigmatisation de minorités à des risques pour la santé publique, comme le refus de vaccins. Les théories du complot se propagent particulièrement bien à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, où chacun peut diffuser des informations ; la défiance envers les médias traditionnels et l’émergence de « contre-médias » sur Internet exacerbent cette tendance. Les journalistes, souvent accusés de connivence avec les pouvoirs politiques ou économiques, perdent donc leur crédibilité. Toutefois, les mesures pour lutter contre la désinformation en période électorale, bien que nécessaires, suscitent des débats sur la liberté d’expression.
Les fake news, qu’est-ce que c’est ?
Popularisée par Donald Trump, l’expression « fake news » est aujourd’hui utilisée pour signifier fausses informations, rumeurs, complots ou mensonges purs et simples, mais aussi pour dénigrer les médias établis. À l’origine, l’expression s’appliquait à des médias parodiques, comme Le Gorafi ou Groland, dont l’intention est de faire rire en moquant l’actualité et les travers du journalisme. Ces médias peuvent générer de la mésinformation lorsque des gens partagent du contenu sans savoir qu’il est faux, croyant à tort qu’il s’agit d’informations véridiques.
Cependant, « fake news » peut aussi désigner de fausses informations diffusées par des sites qui se donnent l’apparence d’un vrai journal, servant ainsi la désinformation. Dans ce cas, les internautes partagent ces informations tout en sachant qu’elles sont fausses, mais elles servent leur cause ou leur idéal. Ce type de mensonge vise à gagner de l’argent en diffusant des contenus viraux, ou à propager une idée politique. Des sites comme Breitbart aux États-Unis ou des sites d’extrême-droite en France partagent de telles fausses informations, par exemple le pizzagate ou des calomnies politiques rebaptisant des hommes politiques français avec des noms islamiques.
L’expression fake news est donc polysémique, recouvrant différentes réalités. On peut distinguer plusieurs catégories de fausseté dans le domaine de l’information :
- Absence d’accès à l’information : Pour des raisons de sécurité militaire, certaines informations peuvent être retenues.
- Défaillance épistémique : Le manque de formation des journalistes à traiter certains sujets techniques peut mener à des erreurs, laissant la place aux experts dont les informations ne peuvent pas être vérifiées.
- Fausseté par manipulation : Différents degrés de fabrication d’une fausse information existent, de partiellement fausse à totalement inventée.
- Rétention d’information : Parfois, les informations sont partiellement cachées, créant des demi-vérités ou des mensonges par omission.
Aujourd’hui, l’éducation aux médias et à l’information (ÉMI) à l’école vise à contrer la désinformation par l’enseignement des « bonnes pratiques » en matière de recherche sur internet. Pour le public du secondaire, la compréhension et la critique de la désinformation passent par l’acquisition de compétences économiques, sociotechniques et épistémologiques. Répondre efficacement à la désinformation en ligne nécessite un travail de long terme, dans lequel l’éducation aux médias joue un rôle essentiel.
Les différences entre complotisme et fake news
Les différences entre complotisme et fake news se manifestent principalement à trois niveaux : dans leur nature, leurs mécanismes de diffusion et leurs objectifs sous-jacents.
Dans leur nature : Le complotisme est fondamentalement une manière de percevoir et d’interpréter le monde. Il repose sur la croyance que des événements importants sont manipulés secrètement par des groupes puissants ayant des intentions malveillantes. Cette vision conspirationniste du monde découle souvent d’une profonde méfiance envers les institutions, les autorités et les élites. Les théories complotistes ne nécessitent pas nécessairement de preuves tangibles pour être crédibles aux yeux de leurs partisans, car elles exploitent des sentiments de peur et de suspicion. Par exemple, des théories suggérant que des gouvernements ou des groupes occultes contrôlent secrètement des aspects majeurs de la société relèvent du complotisme. En revanche, les fake news sont des fabrications intentionnelles d’informations fausses ou trompeuses. Elles sont souvent créées par des individus, des groupes ou des organisations avec des objectifs précis : influencer l’opinion publique, générer du profit par le biais de la publicité ou nuire à des adversaires politiques. Contrairement au complotisme, les fake news sont des contenus concrets (articles, vidéos, images) diffusés dans le but explicite de tromper le public. Par exemple, une fausse information prétendant qu’un candidat politique a commis un acte scandaleux est une fake news.
Dans les mécanismes de diffusion : Le complotisme se diffuse principalement par le bouche-à-oreille, les forums en ligne, les réseaux sociaux et certains médias alternatifs qui s’opposent aux versions officielles des événements. Les théories complotistes se propagent par des récits narratifs qui tentent de relier des événements disparates en un tout cohérent, souvent en invoquant des « preuves » anecdotiques ou en citant des « experts » marginaux. La persistance du complotisme est renforcée par des biais cognitifs tels que le biais de confirmation, où les individus cherchent des informations qui confirment leurs croyances préexistantes. Les fake news, quant à elles, se répandent rapidement grâce aux plateformes de réseaux sociaux, aux sites web de fausses nouvelles et parfois même par des médias traditionnels non vérifiés. La diffusion des fake news est facilitée par des algorithmes qui favorisent les contenus viraux et émotionnellement chargés, augmentant ainsi leur visibilité. Les fake news sont souvent conçues pour être attrayantes et partagées facilement, ce qui leur permet de toucher un large public en peu de temps. Par exemple, des fausses nouvelles sur une prétendue crise sanitaire peuvent se répandre rapidement sur Tiktok, Facebook ou X (Twitter).
Dans les objectifs et conséquences : Les théories complotistes cherchent principalement à offrir une alternative aux récits officiels, souvent dans le but de discréditer les institutions et les autorités en place. Elles visent à renforcer la cohésion au sein de groupes qui se sentent marginalisés ou menacés par les élites. Le complotisme peut ainsi servir de mécanisme de défense pour ceux qui ressentent un manque de contrôle ou de compréhension face à des événements complexes. Les fake news, en revanche, ont des objectifs plus immédiats et pragmatiques: elles cherchent souvent à manipuler l’opinion publique, influencer des élections, ou générer des revenus par le biais de clics publicitaires. Les conséquences des fake news peuvent être immédiates et tangibles, comme influencer le résultat d’une élection ou provoquer des tensions sociales. Par exemple, la diffusion de fausses informations sur une fraude électorale peut inciter à des manifestations ou à des violences.
Alors que le complotisme s’enracine dans une vision du monde où des forces occultes dirigent les événements, les fake news se concentrent sur la création et la diffusion de fausses informations pour des gains immédiats ou stratégiques. Le complotisme peut engendrer des fake news lorsqu’il cherche à prouver ou à illustrer ses théories, tandis que les fake news peuvent alimenter les croyances complotistes en fournissant des « preuves » fabriquées.