Schopenhauer est un penseur indépendant.
Il le prouve une fois de plus en écartant tour à tour les conceptions philosophiques de l’amour de ses prédécesseurs.
Sont ainsi évacuées les analyses de (les noms ont été mis en gras dans le texte) :
- Platon
- Rousseau
- Kant
- Platner
- Spinoza
Ce sont autant d’auteurs vers qui nous vous renvoyons pour creuser davantage ce thème de l’amour.
On ne peut donc douter, d’après les faits que je viens de rappeler, ni de la réalité ni de l’importance de l’amour ; aussi, au lieu de s’étonner qu’un philosophe n’ait pas craint, pour une fois, de faire sien ce thème éternel des poètes, devrait-on s’étonner plutôt qu’une passion qui joue dans toute la vie humaine un rôle de premier ordre n’ait pas encore été prise en considération par les philosophes et soit restée jusqu’ici comme une terre inexplorée. Celui qui s’est le plus occupé de la question, c’est Platon, surtout dans leBanquetet lePhèdre: mais tout ce qu’il avance à ce sujet reste dans le domaine des mythes, des fables et de la fantaisie, et ne se rapporte guère qu’à la pédérastie grecque. Le peu que dit Rousseau sur ce point dans leDiscours sur l’inégalitéest faux et insuffisant. Kant traite la question, dans la troisième section de son écritSur lesentiment du beau et du sublime; mais son analyse est superficielle, faute de connaissance du sujet, et se trouve ainsi en partie inexacte. Quant à l’examen qu’en fait Platner dans sonAnthropologie(§§ 1347 et suiv.), chacun le trouvera faible et sans profondeur. La définition de Spinoza mérite d’être rapportée pour son extrême naïveté, ne serait-ce que par plaisir : «Amor est titillatio,concomitante idea causæ externæ.» [L’amour est un chatouillement, accompagné de la représentation d’une cause extérieure] (Éthique, IV, proposit. XLIV, dem.) On voit que je n’ai ni à me servir de mes prédécesseurs, ni à les combattre. Le sujet s’est de lui-même imposé à moi et est venu prendre place dans l’ensemble de ma conception du monde. Je ne peux guère compter d’ailleurs sur l’approbation de ceux mêmes que cette passion domine et qui cherchent à exprimer la violence de leurs sentiments par les images les plus sublimes et les plus éthérées : ma conception de l’amour leur paraîtra trop physique, trop matérielle, si métaphysique et si transcendante qu’elle soit au fond. Qu’ils veuillent bien considérer au préalable que l’objet chéri qui leur inspire aujourd’hui des madrigaux et des sonnets, s’il était né dix-huit ans plus tôt, aurait à peine obtenu d’eux un regard.
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, Chapitre «XLIV: MÉTAPHYSIQUE DE L’AMOUR»
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