L’étude de la pensée politique à travers l’histoire révèle une richesse intellectuelle fascinante, bien que non exhaustive. Dans cet article, nous nous concentrons sur trois périodes clés : la Grèce antique avec Platon et Aristote, l’Antiquité romaine avec Polybe et Cicéron, et le Moyen-Âge avec Saint-Augustin et Thomas d’Aquin. D’autres courants de pensées, comme le confucianisme en Chine, l’averroïsme en monde islamique médiéval, ou la philosophie politique de Machiavel à la Renaissance, auraient également mérité une attention particulière. Ces perspectives offrent toutefois un premier cadre de réflexion sur l’évolution des idées politiques et leur impact sur les sociétés à travers les âges.
La pensée politique lors de la Grèce antique
Platon, né en 427 avant notre ère à Athènes, est profondément influencé par la condamnation à mort de son maître, Socrate, par la démocratie athénienne. Cette expérience le pousse à s’opposer aux sophistes et à développer une philosophie politique unique.
L’allégorie de la caverne
Dans La République, Platon explore la notion de justice et propose une théorie de l’éducation. Il défend l’idée d’une cité juste, orientée vers le bien et la justice. Son allégorie de la caverne décrit le rapport naturel à la connaissance : les ombres représentent les opinions, un simple reflet de la réalité, tandis que le feu symbolise une connaissance morale encore imparfaite. Platon pousse les individus à dépasser les idées reçues pour comprendre la réalité. Il distingue le monde sensible, perçu par les sens, et le monde intelligible, accessible par la raison, développant ainsi sa théorie des formes (eidos). Pour Platon, le philosophe est naturellement apte à gouverner, car son âme éclairée est capable de connaître le bien. Contrairement à ceux qui recherchent le pouvoir par désir personnel, le philosophe-roi reste incorruptible. Platon adopte une approche holiste, considérant que la cité dépend de l’éducation des âmes justes. Les jeunes, éduqués pour devenir des hoplites, doivent mener une vie modeste, contrôlant leurs désirs.
→ 4 Citations de Platon sur la justice (Livre Ier de la République)
Injustice dans la cité : La décadence des régimes
Platon développe une théorie sur la dégénérescence des régimes politiques. Le tyran, selon lui, est l’homme le plus malheureux et vicieux, imposant sa vision des désirs à tous. Après avoir satisfait le peuple, il obtient leur légitimité mais finit par devenir tyrannique.
→ Les Républiques ne sont pas éternelles
Platon distingue le roi du tyran, l’aristocratie de l’oligarchie, et la démocratie constitutionnelle de la démocratie avec une dose d’oligarchie. Il utilise trois critères pour les différencier : le rapport liberté-contrainte, le rapport pauvreté-richesse, et le rapport loi-absence de loi. À travers la métaphore du berger, Platon explique que pour gouverner, il faut l’adhésion du peuple. Il accorde aux lois plusieurs rôles : réguler les rapports entre les individus et servir une utilité politique.
Aristote, né en 384 avant notre ère et mort en 322, critique les idées de Platon et défend le régime mixte ainsi que la justice distributive et commutative.
Critique de la théorie platonicienne
Aristote rejette la théorie des syllogismes de Platon et propose sa propre théorie des causes, expliquant qu’un objet a quatre causes : matérielle, efficiente, formelle et finale. Il distingue également le monde sublunaire, sujet à la contingence, du monde supralunaire, où règne la nécessité. Pour Aristote, l’homme est une partie intégrante de la cité. La politique, ou « Politeia » en grec, inclut une constitution, un gouvernement, une communauté et une société. La politique évolue en plusieurs étapes : du couple homme/femme au village (union des familles) puis à la cité. Les esclaves, quant à eux, ont une fonction spécifique auprès de leurs maîtres.
→ Aristote – Des Familles à l’État
Le politique
Aristote voit la sphère politique comme un monde en devenir. Le savoir politique est pratique, visant l’action et ses effets. Il distingue plusieurs types d’actions : technique, politique, pratique et la vertu de prudence. Aristote accorde une place importante à la contingence, adoptant un réalisme qui contraste avec l’idéalisme de Platon. Il reconnaît plusieurs formes de régimes idéaux, y compris l’aristocratie, qui représente la perfection morale. Il distingue les régimes droits (monarchie) des régimes déviés (tyrannie), ainsi que ceux qui servent le bien commun de ceux qui servent des intérêts particuliers. La citoyenneté, pour Aristote, repose sur les actions et la vertu plutôt que sur l’origine. Aristote considère le régime mixte, combinant oligarchie et démocratie, comme plus stable que la démocratie pure ou l’aristocratie. La démocratie exacerbe les luttes de classe, tandis que le régime mixte assure une stabilité en équilibrant les intérêts. Pour Aristote, la justice est une vertu mesurée, opposée à l’excès. La justice distributive vise l’égalité des personnes, contrairement à la loi du Talion. La justice commutative, quant à elle, se concentre sur l’égalité en termes de biens plutôt que sur la morale.
La pensée politique dans l’Antiquité romaine
Les Romains, influencés par l’histoire mythique de Rome, ont développé une pensée politique distincte, intégrant des éléments pratiques et historiques. La république romaine, un régime mixte visant le bien commun, repose sur une séparation des pouvoirs pour éviter la corruption. Les consuls et magistrats détiennent le pouvoir, le Sénat s’oppose à la justice et à la démocratie, et le peuple dispose du droit de vote et de veto, en échange de devoirs militaires et politiques. Les citoyens romains sont divisés en trois classes : sénatoriale, équestre et populaire.
Biographie et thèse politique de Polybe
Polybe, soldat et diplomate romain d’origine macédonienne, est l’un des meilleurs historiens connus. En faveur du régime mixte, il pense que ce système permet à des individus qualifiés d’accéder au pouvoir. Contrairement à Aristote, Polybe estime que l’État monarchique ne doit pas être héréditaire et que le souverain doit être choisi pour son talent. Il reprend la classification des régimes d’Aristote et s’inspire de la théorie de la dégénérescence des régimes de Platon : la royauté devient tyrannie, la tyrannie devient aristocratie, l’aristocratie conduit à la révolte du peuple, et cette révolte engendre une oligarchie.
Les théories de la république de Cicéron
Cicéron, né en 106 avant notre ère et mort en 43, est un des précurseurs du républicanisme. Orateur et stoïcien, il propose une typologie des régimes politiques. Cicéron prône l’harmonie entre les citoyens, mélangeant monarchie, aristocratie et démocratie. Il reprend la thèse d’Aristote selon laquelle « l’homme est un animal politique » et se concentre sur le bien commun. Pour Cicéron, suivre la nature comme guide est essentiel. La communauté trouve un sens dans la raison, et l’homme, en tant qu’être rationnel, doit accomplir ses devoirs pour atteindre l’excellence morale. Cicéron distingue également les libertés politiques des anciens et les libertés individuelles des modernes.
La pensée politique du Moyen-Age
Saint-Augustin (354-430)
Originaire d’Algérie, Saint-Augustin enseigne la rhétorique à Milan. Il soutient que l’homme conserve une certaine autonomie sur terre. Le chrétien utilise parfois la contrainte physique pour persuader l’âme, et adopte un discours millénariste prédisant la fin du monde imminente. Saint-Augustin distingue la cité terrestre de la cité céleste ou idéale. Ces deux cités coexistent, les individus de la cité céleste étant choisis par Dieu, tandis que ceux de la cité terrestre ne le sont pas. Il y a une séparation entre le spirituel et le temporel, illustrée par la maxime « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Saint-Augustin – Deux amours ont fait deux cités
Le Moyen-Age : Le religieux détermine le politique
Jean de Salisbury (1119-1180) distingue le roi du tyran, voyant le roi comme une personne publique.
Thomas d’Aquin (1225-1274), influencé par Aristote, développe une synthèse épistémologique, anthropologique et socio-politique. Thomas d’Aquin distingue trois niveaux de lois divines : la loi éternelle (méconnue mais inaliénable), la loi naturelle (connue par la raison humaine) et la loi humaine (écrite par les hommes). Il estime que la royauté est le meilleur régime pour maintenir la paix et que le roi doit s’opposer au tyran. En cas de tyrannie, il est possible de renverser le tyran sous certaines conditions.
Pour Thomas d’Aquin, la royauté est préférable car elle assure la paix et la stabilité. Le roi doit agir en opposition au tyran, et le degré d’oppression se mesure par le nombre d’opprimés. La possibilité de tuer un tyran est envisageable sous des critères stricts, indiquant un cadre pour la légitimité de la résistance contre l’oppression.