Les paradoxes de la solidarité, entre individualisme et mondialisation

1. La crise du lien social : individualisme, pluralisme et solidarité

Depuis le début du XXIe siècle, la société française est marquée par des interrogations profondes autour de la solidarité et du délitement du lien social. Le mouvement associatif, pourtant dynamique, semble insuffisant face à ce que Serge Paugam qualifie de « crise du lien social » (2006, 2008). Cette crise est à mettre en relation avec l’individualisme croissant et la pluralisation des références sociétales. La difficulté de vivre ensemble pousse à repenser la solidarité, essentielle pour concevoir une « société des égaux », comme le souligne Pierre Rosanvallon dans La Société des égaux (2011). Rosanvallon, qui est professeur au Collège de France et fondateur de La République des Idées, propose dans cet ouvrage une philosophie de l’égalité comme relation sociale et montre que la reconstruction d’une société fondée sur les principes de singularité, de réciprocité et de communauté est la condition d’une solidarité plus active.

L’étymologie du terme « société » renvoie à l’idée d’associés unis par une obligation solidaire. Historiquement, cette notion évolue depuis le XVIIe siècle, passant de l’idée d’interdépendance entre individus à celle d’une solidarité collective. Pourtant, au début des années 2000, un nouveau concept émerge pour décrire une fracture croissante du lien social : la « société dissociée ». Selon Jérôme Bindé et Federico Mayor dans Un monde nouveau (1999), la cohésion sociale cède la place à une logique de dissolution, où les replis communautaires coexistent avec l’ouverture mondiale, permise par la révolution numérique et Internet. Daniel Cohen (Richesse du monde, pauvreté des nations, 1997) illustre ce paradoxe : l’individualisme virtuel, nourri par la mondialisation, fragmente encore davantage les sociétés.

2. Les effets paradoxaux de la mondialisation : entre homogénéité et fragmentation

Si la mondialisation était censée réduire les différences et encourager la convergence des sociétés, elle semble produire l’effet inverse : une fragmentation croissante. Daniel Cohen décrit ce phénomène comme un processus d’« appariement sélectif », où « qui se ressemble s’assemble ». Plutôt que de réduire les fractures sociales, la mondialisation exacerbe les replis identitaires et les tensions politiques. La réintroduction de la laïcité à l’école ou la recrudescence d’actes antismémites en France sont des exemples de conflits mondiaux qui s’invitent au cœur de la nation.

Culture générale : la Mondialisation

La société civile, pilier de la cohésion sociale, est elle-même fracturée dans ses dimensions fondamentales : travail, famille, école et ville. La ville, symbole historique de la polis grecque et du politique, est aujourd’hui le théâtre d’une nouvelle forme de ségrégation appelée « apartheid urbain ». Contrairement à la ségrégation classique des banlieues, cet « apartheid » repose sur la création de zones volontairement fermées : enclaves fortifiées et villes privées, homogènes sur le plan culturel et social, souvent surveillées par des services de sécurité privés. Si ce phénomène reste rare en Europe, il est largement répandu aux États-Unis, où 35 millions de personnes vivent dans plus de 150 000 communautés gérées par des associations privées, selon un rapport de l’OCDE.

Ces bouleversements remettent en cause la fonction intégrative de la politique, qui peine à répondre à l’émergence d’une polarisation sociale extrême. Jérôme Bindé appelle ainsi à l’invention d’un « nouveau contrat social » et à un approfondissement de la démocratie pour faire face à ces défis majeurs.

Comprendre le contrat social de Thomas Hobbes

Résumé du Livre 1 du Contrat social de Rousseau

3. Violence, sensibilité et rejet de la décivilisation

Face aux fractures sociales, la notion de « décivilisation » suscite un débat. Dans une tribune pour Le Monde, Brice Teinturier conteste cette idée en s’appuyant sur l’enquête Fractures françaises 2024 réalisée par Ipsos. Selon cette étude, les Français ne se trouvent pas dans un processus de décivilisation mais dans un rejet croissant de la violence. En témoigne la sensibilité accrue à l’extrême violence, en particulier celle des jeunes adolescents ou des narcotrafiquants. À titre d’exemple, 92% des Français estiment vivre dans une société violente, et 89% considèrent que cette violence augmente. Cette sensibilité n’est pas un signe de recul de la civilisation, mais plutôt de son avancée, explique Brice Teinturier à propos de l’enquête menée. Selon Norbert Elias, ce rejet est l’expression d’une pacification des mœurs et d’une intériorisation des normes sociales.

Toutefois, cette sensibilité exacerbée à la violence conduit parfois à un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance face à l’état du monde. Christiane Singer, dans Où cours-tu ?, évoque cette paralysie face à la misère humaine omniprésente dans les médias. Cet état dépressif collectif ne doit pourtant pas masquer les processus de civilisation en cours, marqués par un rejet croissant du racisme (85%) et de l’antismétisme (84%).

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