1. La solidarité : définition et évolution du concept
La solidarité, au sens courant du terme, signifie se sentir lié à une personne par une responsabilité commune et des intérêts partagés. Ce lien est souvent accompagné d’un soutien moral ou d’une aide active. De manière générale, la solidarité évoque les notions de lien, d’entraide et d’assistance au sein d’un groupe autour de valeurs ou d’intérêts communs.
Les premières réflexions philosophiques sur la solidarité se concentrent sur sa dimension matérielle et sociale. Dans La Politique, Aristote étudie le lien social qui unit les citoyens d’une même communauté politique. Pour lui, ce lien, appelé philia, traduit un besoin humain de vivre ensemble, propre à l’homme et distinct de l’instinct grégaire des animaux. La philia n’est pas l’amitié personnelle au sens moderne, mais plutôt une sociabilité naturelle doublée d’une conscience d’identité commune et de solidarité morale, qui s’accomplit dans la concorde civile et le patriotisme.
Cependant, au XVIIe siècle, les philosophes des théories du contrat social écartent cette dimension morale pour se concentrer sur l’aspect juridique et politique des liens entre individus dans un État. Ce n’est qu’au XXe siècle, avec l’essor de la sociologie, que l’étude des liens non politiques réapparaît. Emile Durkheim, dans La Division du travail social, considère la division du travail comme l’élément central du lien social. Par la suite, d’autres sociologues accordent une place centrale au langage, perçu comme le liant sociétal qui est indispensable à toute relation humaine.
2. La solidarité dans le droit et dans la société
En droit, la solidarité désigne un lien contractuel dans lequel plusieurs personnes partagent la responsabilité d’une obligation commune. Le Code civil de 1804 énonce que si un créancier accepte une part de la dette sans réserver explicitement la solidarité, il renonce à celle-ci pour le débiteur concerné.
Sur un plan plus général, la solidarité traduit une dépendance mutuelle entre les êtres humains, qui découle de leurs besoins réciproques. Henri Bergson, dans Les Deux Sources de la morale et de la religion, évoque des âmes qui dépassent les limites des groupes pour tendre vers une solidarité universelle.
Durkheim propose deux formes de solidarité :
- La solidarité mécanique, caractéristique des sociétés peu différenciées, repose sur des similitudes entre individus.
- La solidarité organique, propre aux sociétés modernes, repose sur la division du travail et l’interdépendance des tâches.
Ernest Renan, quant à lui, définit la nation comme une grande solidarité fondée sur les sacrifices passés et présents consentis par ses membres.
Au sein des groupes sociaux, la solidarité se manifeste par un sens de responsabilité partagée, qui incite à l’entraide et à la coopération. Cela inclut des initiatives humanitaires, comme les caisses de solidarité ou les associations d’aide mutuelle, et des actes concrets où l’on fait preuve de solidarité envers une personne ou un groupe.
3. La solidarité moderne : une valeur morale et sociale
Dans la société contemporaine, le concept de solidarité ne se limite plus à un simple pragmatisme. Il prend une dimension morale essentielle, liée aux notions d’espace public et d’autonomie sociale, telles qu’étudiées par Hannah Arendt et Jürgen Habermas.
La solidarité moderne s’exprime dans une sociabilité active où la vie associative joue un rôle central. De nombreuses initiatives voient le jour pour répondre aux carences de l’État :
- associations de lutte contre l’exclusion,
- défense des consommateurs,
- protection de l’environnement,
- lutte contre l’illettrisme, etc.
Ces actions poursuivent des objectifs d’intérêt général sans passer par les institutions étatiques, ce qui confère à la solidarité une signification hautement morale. Jean Duvignaud, dans La Solidaré, insiste sur la générosité morale qui fonde ces solidarités. Selon lui, une démocratie idéale serait celle où l’État joue un rôle d’arbitre face à une pluralité de solidarités autonomes, permettant aux individus de s’organiser librement sans contrôle excessif.
Dans ce cadre, la sociologie moderne se détache des anciens courants structuralistes pour se concentrer sur les stratégies d’acteurs et les formes de solidarité locales. Plutôt que de voir les individus comme soumis à des déterminismes, elle étudie les marges de manœuvre dont disposent les individus pour agir de manière éthique et participative.
Ainsi, la solidarité contemporaine révèle non seulement l’interdépendance sociale, mais aussi la capacité des hommes à accomplir des actes désintéressés, au service du bien commun.